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Valises de rêves
16 décembre 2006

Haridwar-Varanasi en train

train_har_varLe voyage en train entre Haridwar et Varanasi (l'un des noms de Benares) a été un long mais bon voyage. Partis peu après 22h le mardi, nous sommes arrivés le lendemain vers 18h30. J'ai dormi comme un loir et même réussi à faire une grasse matinée jusqu'à 10h30! Je suis descendue de ma couchette, me suis changée dans les WC (qui venaient juste d'être nettoyés a grande eau) et me suis installée près d'une fenêtre sur un siège libre pour regarder le paysage défiler. Nous traversons les plaines, les montagnes et leur air cristallin sont désormais loin derrière. Rangées d'eucalyptus, parcelles de canne à sucre, de riz, champs de moutarde. Quelquefois un bougainvillée jette une tache rouge sur un fond de fleurs de moutarde jaune. Des vaches. Quelques paons, au milieu des herbes folles entre deux parcelles cultivées. Le ciel est voilé d'une brume de chaleur qui monte de la terre. Dans certaines gares où le train fait halte, les singes semblent avoir pris possession des lieux. Sur les quais, dans les arbres, sur les murs, déambulant au milieu des voyageurs... Des adultes et de nombreux petits, qui suivent maladroitement leur mere -ils font partie de la population.

Des vendeurs de chai et de café passent et repassent dans le wagon. Vers midi, mes compagnons de voyage commandent des repas, servis dans des plateaux d'inox divisés en compartiments : riz, yaourt, sauces, curries, lentilles (dahl). Des senteurs chaudes et epicées envahissent le wagon. J'ai mangé mon petit dejeuner peu avant et me contente de humer et observer les plateux repas. Apres avoir mangé, certains s'installent en position sieste, et une somnolence générale s'installe. Jusqu'en début d'après-midi, mes compagnons et moi observons une discrétion polie de part et d'autre. Ils ne me prêtent pas particulièrement attention et je passe mon temps à ecrire dans mon carnet ou à contempler le paysage et les gares que nous traversons, en écoutant mon lecteur mp3. Puis des lycéens font leur apparation, prenant le train pour de courts trajets jusqu'a leur lycée. Ils viennent s'asseoir a plusieurs sur le siège en face du mien, et m'assaillent d'un feu roulant de questions. Ils veulent tout savoir : de quel pays je viens, quel est mon métier, si je suis mariée, ce que fait mon mari, si j'ai des enfants... Ils me demandent de leur signer un autographe! Et de leur chanter une chanson en francais, mais heureusement le train entre en gare, ils descendent, et je suis sauvée! Il faut que je me rappelle d'une chanson française pour ce genre de requête... M'ayant vue bavarder et plaisanter avec les jeunes, mes voisins perdent d'un seul coup toute  retenue. Ils s'approchent tous en même temps et me bombardent à leur tour de questions. Une grappe de visages attentifs, curieux et souriants, m'entoure. Apres m'avoir posé les mêmes questions que les lycéens, ils me demandent si j'aime l'Inde, ce que j'en pense, quels endroits j'ai visité, combien d'ashrams j'ai visité, depuis combien de temps je suis mariée (plus exactement : how long have you enjoyed couple life?), quel est le prix d'un billet d'avion depuis la France, combien je gagne, quel est la monnaie en France? Hommes, femmes, jeunes et plus ages, ils sont tous aussi curieux. Je reponds de mon mieux. L'intensité de leur intérêt et le côté direct de leurs interrogations sont confondantes. L'échange est vif comme une partie de tennis. Et si leur anglais est parfois difficile à comprendre, ils possèdent un vocabulaire précis et étendu. Après un moment, quand nous avons tous été à bout de salive et de curiosité, ils se sont dispersés. Mais je les ai entendus commenter la conversation et j'ai compris, de leur anglais émaillé d'hindi, qu'il était rare pour eux d'avoir ce genre d'échange avec des étrangers qui répondent vraiment à leurs questions, ne soient pas effrayés, ne se contentent pas de faire "mm mm" sans comprendre. Ils m'ont evidemment tres vivement recommandé de venir accompagnée de mon mari la prochaine fois que je viendrai en Inde, et m'ont aussi dit que j'étais une courageuse voyageuse. En fait, ils sont tres intrusifs, mais un peu comme des parents  qui chercheraient a me connaitre et s'inquieteraient de mon bien-etre et de ma securite. La simplicite et la spontaneite suffisent pour etre traite avec bienveillance et respect.

La voyageuse qui occupe la banquette en vis à vis de mon siege, est une opulente hindoue au front marqué d'un beau rond rouge. Son visage un peu affaissé, au teint pâle et à l'air grave, laisse imaginer qu'elle a été belle autrefois. Elle semble avoir une quarantaine d'annees bien entamée. Son téléphone sonne sans arrêt. Quand elle ne dort pas, allongee de tout son long sur la banquette, elle passe son temps a recevoir et envoyer appels et sms. Les rideaux a demi tires de sa fenetre decoupent des pans de paysage jaune d'or, poudreux, d'arbres moutonnant dans une brume de chaleur et de poussiere sur les vitres. La dame est courtiere en bourse. Originaire de Varanasi, elle a un fils unique de 24 ans, qu'elle marie en janvier, me dit-elle. Elle s'inquiete de savoir si j'ai réservé une chambre d'hotle, si quelqu'un vient me chercher a la gare, si je connais du monde a Varanasi... Elle me dit qu'en Inde les couples ne veulent plus qu'un ou deux enfants, pour pouvoir leur offrir une bonne éducation. Les musulmans sont les seuls a ne pas suivre cette ligne de conduite. "C'est récent, ce changement dans les mentalités. Maintenant, les gens se préoccupent beaucoup de l'éducation de leurs enfants. Et cela coute de plus en plus cher. Les Indiens sont un peuple laborieux. Ils veulent travailler pour gagner beaucoup d'argent, et en dépenser beaucoup."

La nuit est tombée petit a petit, et la perspective d'affronter seule les chauffeurs de rickshaws pour aller dans la vieille ville, de nuit, ne me séduit pas vraiment. Je demande à ma voisine si par hasard elle aurait la gentillesse de m'aider à appeler un hotel pour réserver une chambre et demander qu'ils envoient quelqu'un me chercher. Elle accepte, sans se départir de son air grave. Apres 3 coups de fil infructueux, elle me propose de me déposer à un hotel sur sa route. J'accepte, évidemment, avec gratitude. Le train arrive en gare de Varanasi. Elle se fait aider à descendre ses bagages, charge un porteur de ses deux valises et saisit son telephone pour appeler son fils qui apparait rapidemment. "Venez" m'intime la dame. Je la suis, elle, son porteur, ses bagages et son fils jusqu'à sa camionnette. C'est un vehicule petit et étroit, ce qui lui permet de se faufiler dans la circulation compacte où nous nous lançons. Je me suis excusée, en m'asseyant, de les déranger, mais il a répondu que c'était un plaisir de rendre ce service. Il a prétendu qu'il pouvait me déposer à Assi Ghat, le début de la vieille ville, car c'était sur sa route. En fait, il a déposé sa mere et a poursuivi, en se rallongeant d'autant plus que l'embouteillage inextricable ou nous étions l'a obligé à faire un grand détour. Cela nous a permis de bavarder, au milieu de ce flot de rickshaws, velos, motos, voitures, camionnettes, dans le vacarme des klaxons. Samir est courtier en bourse, et travaille avec sa mere. Son telephone aussi sonne continuellement (un certain nombre de fois a cause de sa mere qui s'inquiete, je pense). Il me dit qu' il adore les telephones mobiles, comme la plupart des jeunes citadins, qui en changent volontiers tous les mois. En regardant mon modeste sac a dos il s'etonne de son volume reduit et declare que le moindre de ses deplacements en week end implique un enorme sac plein de vetements. Il aime la mode, et s'enquiert des marques de jeans populaires en France. Il est adepte des jeans Wranglers. "Les Indiens gagnent de plus en plus d'argent, m'explique-t-il. Les salaires augmentent en meme temps que le pouvoir d'achat. La nouvelle generation est completement differente de l'ancienne, qui economisait : elle veut gagner pour depenser. Si quelqu'un gagne 10 dollars, il veut en depenser 11." Il est energique, dynamique, comme les autres jeunes Indiens avec lesquels j'ai eu l'occasion de bavarder jusqu'ici.              "La circulation est peut-etre bloquee a cause d'un VIP qui vient en ville, declare-t-il apres une bonne demi-heure d'embouteillage. Ou d'un politicien. Nos politiciens sont tous corrompus. Et quand on voit la progression rapide de l'Inde, on peut se dire que si ces politiciens etaient differents, l'Inde serait parmi les pays les plus developpes. Notre pays progresse sans cesse." Je lui demande ce qu'il pense de son futur mariage, arrange. Il repond que c'est comme ca. Que certains s'en accomodent. Les parents ne s'opposent pas forcement a un mariage d'amour (love mariage). Samir a eu plusieurs petites amies, il aurait bien voulu en epouser une, mais elle ne voulait ou pouvait pas faire un "love mariage". Il s'est donc apparemment resigne au mariage arrange par sa mere. Quand je lui demande ce qu'il pense de la culture occidentale,  il repond, comme d'autres Indiens me l'ont deja dit, qu'il n'aime pas la propension des occidentaux a laisser leurs parents mourir dans des maisons de retraite. Les Indiens respectent profondement leurs parents, et tout specialement leur mere, qui est sacree. "Ma mere est une deesse" m'a dit Hari avec un grand serieux. De fait, pour les hindous, Dieu est en tout, et tout est Dieu...

Finalement, il me depose dans une rue ou se trouvent plusieurs hotel. Mon premier soir a Varanasi, dans une chambre au confort spartiate et a la proprete limite (mais pour 150 roupies, on ne peut pas etre trop exigeant)... Je me suis fait monter dans ma chambre un sandwich au fromage, un lassi et une bouteille d'eau minerale. Par la fenetre entrebaillee, me parviennent un concert ou se melent de la musique de fete, des klaxons, des petards.

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Commentaires
C
C'est super de suivre tes aventures au jour le jour, et de découvrir l'Inde à travers ton regard. T'assures super bien comme voyageuse, et comme reporter-ethnologue aussi ! On va tous devenir accros de ton reality-trip ! Bonne route...
G
Oui, j'suis d'accord avec Maman.<br /> <br /> Georges
M
Plutôt sympathiques, ces Indiens, non? le voyage en train comme si nous y étions, l'arrivée dans une grande ville surpeuplée où ancien et moderne s'entrechoquent et à grands coups de klaxons et de pollution (j'imagine!), relations humaines indispensables, bref, un panaché passionnant, que tu sais si bien nous restituer, comme toujours! nous sommes toujours accrochés à ton blog, et c'est bigrement instructif!! Enjoy yourr djourrney, my darrling!
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