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Valises de rêves
8 décembre 2006

Les pieds dans le Gange

Je viens de lire vos commentaires et mails, et me voila toute émue! Merci mille fois pour vos messages, qui me donnent le sentiment d'etre reliée à vous tous. C'est un petit peu intimidant aussi, de vous savoir la-bas, me lisant et partageant toutes ces extraordinaires decouvertes. C'est déjà une chance d'avoir internet ici au pied de l'Himalaya, mais on ne peut pas trop exiger : la connexion est trop lente pour envoyer des photos.

Rishikesh est une petite ville, qui enserre le Gange comme un joyau. Je ne me lasse pas d'admirer la couleur extraordinaire du fleuve, elle change au fil des heures et emprunte des teintes de pierres precieuses, de l'opale à l'émeraude en passant par la turquoise. La ville se développe de plus en plus vite depuis une quinzaine d'années. Elle est toute en rues pentues, escaliers et côtes, et promenades parallèles au fleuve. Elle se parcourt facilement à pied. Il suffit de suivre la route qui descend vers l'un des deux ponts suspendus au sud et au nord puis de décrire une boucle. Les temples hindous se mirent dans l'eau, les fanions multicolores volent au vent et les singes galopent le long des terrasses, des fils électriques, et des branches. Ils sont si nombreux qu'ils représentent une nuisance. Ce matin je suis descendue tôt vers les rives du Gange pour faire des photos en profitant de la tranquilité, et j'ai acheté un journal à un vendeur à bicyclette qui m'a dit en riant (jaune) qu'il venait de se faire attaquer par une bande de singes. Avant huit heures, les rues sont presque vides. On croise des sadhus -ceux qui renoncent a toute vie sociale et se consacrent à la priere en vivant de la charité- des vendeurs de thé, quelques passants matinaux. Ensuite ce sont les écoliers en uniforme, puis peu à peu les touristes, et les marchands ambulants pressés d'écouler leur camelote qui envahissent la ville. Odeurs d'encens, de bouse de vache, d'ordures brulées, de cabinets à ciel ouvert.

Sa situation au bord du Gange fait de Rishikesh un lieu saint, qui attire de nombreux pélerins indiens, ainsi qu'une cohorte de voyageurs poursuivant différentes quêtes. Les ashrams fleurissent dans toute la ville. C'est une ville où la spiritualite emprunte de multiples facettes. L'authenticité et les miroirs aux alouettes se partagent le terrain. A chaque coin de rue des pancartes proposent des cours de yoga, des massages ayurvediques, des cours de tablas ou de sitare, des séances de méditation... Les restaurants, dont la carte offre des plats israeliens, végétariens, chinois, tibétains, mais aussi des pizzas ou des pâtisseries allemandes, passent de la musique de méditation à plein volume. Ici la spiritualité est un business qui tourne. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, je me suis retrouvée happée dans un temple, devant lequel je ne faisais que passer et jetter un coup d'oeil. C'est un temple dédié au Gange, explique le jeune homme dont l'anglais confus m'empêche de saisir la moitié de ce qu'il raconte. Il m'entraine en haut d'un petit monument ouvert, planté au milieu de la cour. La minute d'après, je suis assiss face à un "prêtre" qui saisit un chapelet de bois sur une pile, marmonne quelques mantras, me le passe autour du cou, trace un trait rouge sur mon front, me fourre entre les mains une mini-bouilloire en cuivre sensée contenir de l'eau du Gange -il la tourne et la retourne pour prouver qu'elle ne fuit pas. Ensuite il me demande si je suis mariée, question à laquelle il est logiquement plus prudent de répondre oui, ce qui entraine aussitôt la constitution d'un deuxième lot comprenant le chapelet et la bouilloire. Puis l'accolyte sort de sa poche un bloc-note sur lequel il fait une rapide addition, en baragouinant un discours d'où émerge seulement "cent roupies", à plusieurs reprises. Chaque article coûte cent roupies. J'en ai quatre entre les mains, et le total est de cinq cent roupies. Près de dix euros. Donc, j'enlève le chapelet, rends les mini-bouilloires et quitte les lieux en m'excusant et expliquant que je pensais être dans un temple et non une boutique de souvenirs. Le prêtre et son aide hochent la tete de concert, l'air vexé. De la même façon, on vous met dans la main quelques grains de sucre blanc pendant que vous êtes devant un stand de jus de canne à sucre ou de chai, ce que vous prenez naivement pour un  cadeau (!), puis on vous trace un trait rouge sur le front, avant de vous enrouler autour du poignet un fil de laine rouge en vous faisant répéter des phrases incompréhensibles, mais qui vous bénissent et attirent sur vous chance et prosperité pour cent générations. L'ennui avec cette pate rouge dont on vous barbouille le front à tout bout de champ est qu'elle est peu seyante, et difficile à enlever!

Les marchands du temple possèdent mille combines pour attirer le passant innocent et lui faire accepter un premier geste qui sera très vite suivi d'un autre, et encore un autre, le tout très folklorique, très séduisant pour le nouveau venu un peu étourdi par un tel exotisme. Jusqu'a ce que le marchand vous réclame de l'argent. Les Indiens savent très bien quels aspects de leur culture fascinent les occidentaux. Nous le montrons avec une telle candeur, qu'ils pensent nous connaître et pouvoir nous manipuler aisément. C'est facile avec les nouveaux venus (dont l'air ébahi trahit la récente arrivée!). Car la premiere chose qui frappe les sens et l'imagination est la forme exterieure que revêt la spiritualité ici. Chaque demeure et chaque commerce possède son petit autel dédié à un dieu, les temples abondent, comme les sadhus. Les rituels religieux sont omniprésents et insondables pour le profane. Seuls sont visibles et mis en avant les gestes, les couleurs, les attitudes. Ignorants du fond mais fascinés par la forme, si decorative, les occidentaux matérialistes que nous sommes représentons des proies idéales pour les marchands d'illumination. On croise de vieux et moins vieux disciples de gourous, portant les habits oranges ou blancs, marchant pieds nus, le regard un peu vide. Ils ont la peau blanche, les cheveux sales, et un jour ils ont eux aussi débarqué en Inde, à la poursuite de leur propre rêve. A première vue ils m'ont fait froid dans le dos, puis pitié, mais en refléchissant un peu plus, je me dis qu'ils n'ont peut être pas de place ailleurs et que vivre en marge en Inde est surement beaucoup moins pénible car moins stigmatisé qu'en occident.

Mais il suffit de suivre tranquillement les rives du Gange, de s'éloigner de la foule cosmopolite, et de descendre sur les plages de sable blanc et fin qui bordent l'eau, de s'asseoir et de contempler le fleuve pour se sentir envahi d'une véritable paix et ressentir la sérénité, l'immuabilité de l'eau, des pierres, du ciel. On se sent étonnamment bien ici, dès lors qu'on évite les rues marchandes. Et l'on peut aussi facilement rencontrer d'autres voyageurs. Les Israéliens sont légion. J'ai passé la journée avec une Israelienne et l'un de ses compatriotes et un Indien du sud du pays. Les discussions tournent autour des voyages, de la musique, de la méditation, des dieux indiens, des séances de massages... On mange ensemble, on boit des chai dans les petits boui-boui, on entre dans les boutiques de souvenirs, on s'assoit au bord du Gange, on passe de longs moments à écouter des CD et choisir ceux que l'on veut faire copier (pour un euro pièce on peut se faire plaisir). Les prix sont si modiques que tout cela ressemble à de grandes vacances pour grands enfants emerveillés de la facilité et du plaisir que l'on ressent à se promener dans ce pays au gré de ses envies.

Et puis on collecte des histoires d'aventures extraordinaires arrivées aux uns et aux autres, on échange des anecdotes et on apprend avec un certain plaisir que même les Indiens se font arnaquer par les agences de voyage... Et petit à petit on se sent un tout petit peu moins étranger. J'ai même mes petites habitudes : un thé au citron et gingembre au miel le matin, ma table préférée dans le petit resto de l'hôtel (le New Bandary Swiss Cottage) la lessive dans le seau de la salle de bain le matin... Et aujourd'hui, ultime signe d'acclimatation : je me suis acheté un châle en laine pour lutter contre le froid qui tombe le soir et je ressemble maintenant a tous les touristes qui se promènent avec un plaid sur les epaules. Par moments je dois me dire "eh, je suis en Inde!" pour à nouveau ressentir cette grande joie d'être en terre étrangère, et une terre nettement moins hostile que sa capitale...

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Commentaires
G
J'ai oublié de te dire, que si j'étais déjà très fière d'avoir une amie "multi-talents" nommée Elénorette, là, je ne t'en parle même pas!! Tu es incroyable, ma petite Poulette. Je t'aime très fort. A très bientôt.
G
J'ai enfin pu lire ton périple, enfin le tout début! Ça fait une semaine que j'essaie de m'asseoir et te lire tranquillement, mais pas moyen!! Je suis heureuse de voir que malgré quelques déceptions et arnaque momentanées(sic! gonflé quand même, le petit Manu! Et il doit y en avoir 10.000, des Manus!!), tu es contente d'être en Inde, et te régales avec tous ces magnifiques paysages, coutumes, cultures. Honnêtement, ça fait envie... J'aimerais beaucoup être à tes côtés et découvrir cette terre si lointaine, qui me semble tellement belle, enrichissante, incroyable... Mais bon, on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut, comme dit si bien ma chère Mamoune. En tout cas c'est formidable de pouvoir te "suivre" dans ta longue et époustouflante aventure. Et toujours un véritable plaisir de te lire : tu écris si bien. A quand les photos? Je suppose que dès que tu trouveras une connexion "potable" et plus rapide. J'attendrai patiemment donc. Dans 6 jours je pars pour "notre" chère petite ville, l'endroit où notre amitié est née. J'ai hâte, à dire vrai. Il me tarde de retrouver ma chère Mamoune, et petite soeur. Bon, ma poulette, je te laisse. Continue de nous détailler si joliment et exhaustivement ton périple. A très bientôt. Je t'embrasse très, très, très fort. Ta Galette.
M
P.S. Avant de quitter Rishikesh, ce serait vraiment bien que tu te fasses photographier avec ton châle et ta tache rouge sur le front devant le Gange!
M
Qui pensait que les Indiens étaient de grands mystiques?? ils ont surtout un sens terrible des affaires et la bosse du commerce! à moins qu'ils ne soient les deux simultanément. Alexandra David-Neel disait déjà à peu près la même chose dans les premières décennies du XX° siècle ("L'Inde où j'ai vécu", en Poche chez Plon pour ceux que ça intéresserait), il faut croire que les choses ne changent pas vite sous le soleil - sauf qu'elle aurait été bien contente de trouver des cyber-cafés jalonnés sur sa route et de pouvoir raconter ses aventures en direct... Nous avons bien de la chance, hein? <br /> Bonne route à ma petite voyageuse intrépide.
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