Arrivee a Rishikesh
Le train entre en gare d'Haridwar à 4h30. Il fait moins froid que je ne le craignais. Sur le quai sont postés des vendeurs de chaï, des voyageurs emmitouflés de châles et bonnets qui attendent leur train, et 5 ou 6 pèse-personnes clignotants, comme dans les jardins où j'étais hier. Un vieux monsieur monte sur l'un d'entre eux et examine le cadran d'un air très sérieux. Après tout, c'est toujours une bonne chose de connaitre son poids, et à 4h30 du matin, ça fait passer le temps... Je bois un chaï servi dans une petite tasse en terre cuite que les clients jettent sur les quais après usage - je la mets soigneusement dans mon sac, elle fera un joli porte bougie.
La salle d'attente où je vais m'installer pour attendre le lever du jour est réservée aux "Upper class" cette fois-ci. La grande salle est plongée dans la pénombre, des familles dorment par terre sur des tapis. Deux gros ventilateurs immobiles sont accrochés aux hauts plafonds. Une femme au pas trainant fait inscrire aux passagers leur numéro de train dans un immense registre fatigué. Elle allume les lumières, il est 5h et manifestement c'est l'heure de se lever. Les gens se réveillent, les femmes brossent leurs longs cheveux noirs et peignent soigneusement leurs enfants. Un homme se tapote les joues et la barbe avec du parfum, tandis qu'un autre se passe de la crème sur le visage. A 5h30, la femme au registre vient me dire "Il fait jour maintenant, il faut y aller". Sans protester ni vérifier ses dires, je quitte la salle. Il fait toujours nuit noire sur le quai. Au bout d'un moment je sors de la gare pour aller dans un boui-boui boire un thé. Un couple est installé à une table voisine de la mienne. La jeune femme, vêtue d’un sari rose bonbon, se tourne vers moi et me dévisage longuement des pieds à la tête, jusqu'à ce que son mari lui dise quelque chose et qu'elle se détourne. En quittant le boui-boui, je demande la direction de la station de bus aux jeunes qui tiennent les lieux. C'est tout près. Le sol est caillouteux et boueux, des bus se croisent, les chauffeurs crient à la cantonade leur destination. Les inévitables chauffeurs de taxi et de rickshaws se précipitent vers moi, et quand je réponds que je prends le bus pour aller à Rishikesh, l'un d'entre eux éclate de rire, un autre affirme avec aplomb qu'il n'y a pas de bus. Si, si, je sais qu'il y en a un toutes les 30 minutes. On ne m'aura pas cette fois-ci! Finalement, c'est l'un de ces chauffeurs qui m'indique le bus quand il entre dans la station.
Le trajet dure moins d'une heure. Au fur et à mesure que la nuit cède la place au jour, je découvre les premiers paysages de l'intérieur du pays, loin de la capitale. Et quels paysages... Ce sont les premiers contreforts de l'Himalaya qui émergent peu à peu des nuages. Je me pincerais presque. Le jour se leve sur l'Himalaya et je suis là, dans ce bus brinquebalant. Je bois des yeux le décor. Le bus traverse un pont qui enjambe un torrent dont l'eau blanche, écumeuse, évoque les glaciers d'où il descend. De temps en temps le chauffeur écrase les freins et croise de justesse une voiture ou un camion venant en sens inverse, ou manque renverser un piéton nonchalant.
Une fois à Rishikesh, je prends un rickshaw jusqu'à la "High bank", la rive haute du Gange. La petite ville sainte s'étale des deux côtés du fleuve et grimpe sur les montagnes qui enserrent le Gange. La couleur de l'eau est stupéfiante. Tout proche de sa source, le fleuve sacré, la Ganga en hindi, est vert jade, limpide, et reflète les temples éparpillés le long des rives. La vue est à couper le souffle. Le rickshaw gravit en pétaradant la route escarpée, jusqu'à un petit groupe d'hôtels nichés dans la végétation. Il faut encore grimper à pieds un petit chemin fort raide. J'ai de la chance, je trouve une chambre pour 150 roupies dans un joli petit hotel, et je peux m'y installer sans attendre midi ni payer de journee supplémentaire... Je vais dormir et découvrirai plus tard ma nouvelle escale.