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Valises de rêves
3 décembre 2006

Colonie tibétaine à Delhi

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Voici la rue où ce matin j'ai pris un chai (thé au lait aux epices) sur un banc,  en regardant passer les lamas tibétains. Majnu Ka Tilla est une petite enclave de Delhi ou se sont refugiés les tibétains lorsque leur pays a été envahi par la Chine. Quelques rues etroites où se pressent les hotels, restaurants, échoppes, et un monastere dont s'échappent le son des gongs et des prières. En buvant mon the j'ai bavardé avec le Tibétain qui était assis à côté de moi. Je voulais savoir s'il y avait une bibliothèque ou un endroit où l'on pouvait se documenter sur l'histoire de cette petite colonie. Et je me suis retrouvée à parler de Zidane, Trézégué et Beckam! Cet homme paisible et souriant était l'un des joueurs de l'équipe nationale de foot du Tibet. Equipe éxilée en Inde, qui se deplace de temps en temps à l'etranger pour disputer un match : contre la Turquie récemment, contre l'Allemagne l'an prochain. Dans la lumière matinale où flottait le parfum de l'encens, cet aimable Tibétain m'a appris que Barthez était boudhiste et envoyait chaque année des dons à un monastere de Dharamssala. Le foot vient de me révéler sans doute son meilleur aspect :créer un sujet de discussion familier avec quelqu'un d'une toute autre culture. Parler avec animation de Victoria et David Beckam avec un Tibétain a Delhi, par un dimanche matin ensoleillé, cela m'a mise de bonne humeur.

Mais mon arrivée hier matin à l'aeroport était un peu moins réjouissante... En sortant du hall d'arrivée, où j'avais récupéré mon sac et changé des travellers chèques en roupies (58 roupies pour 1 euro) j'ai scruté la haie de chauffeurs qui se pressait de chaque côté du passage et attendaient des arrivants avec des pancartes plus ou moins lisibles. Impossible de voir mon nom. J'ai donc été vers une petite cabine téléphonique près de laquelle deux indiens étaient assis. Un nuage de fumée de bidies s'échappait de la cabine poussiéreuse. A ma question "Combien coûte un appel local?" le jeune qui semblait aux commandes du téléphone m'a lancé un péremptoire "It's by the meterrr" ce que j'ai compris comme chronometre. OK. J'ai decroché le combine et quand je lui ai dit qu'il n'y avait pas de tonalité, il s'est précipité en s'excusant pour brancher, apres moult tatonnements, un petit objet métallique sans lequel l'appareil restait muet. A l'hôtel, une femme m'a confirmé avoir envoyé quelqu'un me chercher. La minute de conversation m'a couté 70 roupies! plus d'un euro, ai-je calculé avant de dire "c'est cher pour un appel local" en regardant tour à tour les deux compères aux yeux noirs qui me fixaient sans ciller. "Oui... C'est cher." A fait le plus vieux, la mine et le ton dissuasifs. Bon, inutile d'insister, la prochaine fois je demanderai à voir le prix de la minute avant, et le "meterrr" après, là j'etais trop fatiguée pour discuter. Je suis donc retournée près de la haie de chauffeurs que j'ai lentement longée en examinant chaque panneau. Enfin j'ai trouvé mon nom imprimé sur une feuille de papier, tenue par un homme au visage sombre, les habits froissés et un peu echevelé. Il n'a pas eu l'air enchanté de me voir, et m'a fait remarquer d'un air lugubre, apres avoir pris mon sac, qu'il avait passé 3 h à m'attendre. En fait l'avion avait 1h30 de retard, et au lieu d'arriver à 5h il s'etait posé à 6h30. "Oui, l'avion avait du retard" ai-je marmonné, passablement refroidie par cet accueil de l'Incredible India.

Le froid de l'aube était saisissant. Par les hublots de l'avion, j'avais apercu une ville tres étalée, estompée par un brouillard rose. La première odeur, en sortant, etait celle du bois et des ordures brulés. La même que celle qui vous accueille en Afrique. Elle m'a reconfortée. Le chauffeur m'a fait monter dans une voiture blanche et a tout de suite fait preuve d'un sens de la conduite très particulier, mêlant une grande assurance à une étrange évaluation des distances. Apres un détour par le trottoir et quelques bonds, la voiture a pris la bonne direction et nous sommes sortis du parking, non sans quelques mots furieux à l'adresse d'une voiture garée devant nous. Sur la route menant a Delhi, j'avais le coeur qui battait vite, en partie à cause de la conduite de mon charmant chauffeur, en partie à cause de la fatigue. Mais surtout à cause de ce moment terriblement exaltant et effrayant où l'on arrive dans un pays inconnu. Le long de la route, des arbres poussiéreux où s'accrochaient des colliers d'oeillets d'Inde en offrande, des tas d'ordures, des singes sur les trottoirs. Des piétons allant au travail, et la circulation déjà impressionante malgré l'heure matinale. En chemin le chauffeur a tenté de me vendre un tour en voiture jusqu'a Agra, pour voir le Taj Mahal, sans insister. Nous avons traversé des faubourgs crasseux, où des façades lépreuses côtoyaient de sublimes entrelacs surmontés de coupoles. Le taxi s'est arreté a l'entrée d'une étroite ruelle bordée de hautes facades et j'ai suivi le chauffeur jusqu'à l'hôtel. IMGP5147

Apres avoir deposé mes affaires dans ma chambre, je suis montée sur la terrasse voir la vue sur la rivière Yamuna dont parlait mon guide de voyage. Le froid était toujours cinglant et les fanions aux couleurs de l'arc-en-ciel, que les Tibétains acrochent au toit de leur maison pour attirer la chance, claquaient au vent. Je suis allée me coucher epuisée, complètement déboussolée et me demandant ce que j'etais venue chercher ici...

 

 

 

Voici la chambre de l'hotel Wongden House ou je me suis finalement réveillee hier samedi, à 14h30 heure IMGP5168locale, alors qu'il etait 9h30 en France. Je me sentais déjà un peu mieux, et après une bonne douche je suis descendue au restaurant de l'hôtel. J'ai commandé des noodles tibétaines au poulet (un grand bol de soupe aux nouilles, légumes et morceaux de poulet), un thé au citron et de l'eau en bouteille, le tout pour 80 roupies. Dans la salle, des Tibétains et quelques touristes. Des lamas vêtus de rouge, téléphone portable à l'oreille, font se télescoper sous mes yeux traditions séculaires et technologie. A la table à côté de moi, un couple de suisses s'est installé. La femme parle avec l'air d'une voyageuse avertie et fortunée, des meubles qu'ils pourraient faire fabriquer pour envoyer chez eux. La règle tacite entre les étrangers que j'ai croisé dans ce quartier semble être de s'ignorer, comme si en faisant semblant de ne pas se voir on faisait aussi semblant d'être différent des "touristes". Dans les rues de la colonie tibétaine, on voit déambuler quelques occidentaux style routard arborant bijoux tibétains (colliers, bagues et boucles d'oreille de turquoise et corail sur de l'argent) et mine blasée.

L'estomac plein, reposée, j'etais prête a affronter Delhi. La receptionniste, lorsque je lui ai demandé comment faire pour aller en ville, à Connaught Place, m'a expliqué que je n'avais qu'à prendre le métro! D'abord un ricshaw (soit cycle rickshaw, soit auto rickshaw, le premier coûtant deux fois moins cher maisprenant deux fois plus de temps), jusqu'à la station de métro, puis je n'avais qu'à prendre une ligne directe. Eh oui. Le métro. Alors voila les premières visions que j'ai eu des moyens de transport locaux : IMGP5149

Le cycle rickshaw. Je vous laisse imaginer comment on se sent assis derriere un conducteur qui pédale pour vous emmener là ou vous allez. Pas très fier. Et quand il se jette au milieu de la circulation d'une grande artère dans un flot de voitures, camions et bus. Là, on a le coeur qui remonte dans la gorge. Derrière la plupart des véhicules à moteur on lit "Please horn", SVP klaxonnez! Alors tout le monde klaxonne sans retenue. Et chaque seconde, un miracle se produit : le rickshaw est passé sans encombre!

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L'entrée du metro, à la station Vidan Shavaa, est déserte, flambant neuve et complètement incongrue. L'intérieur est d'une propreté incroyable, les sols brillent et des plantes en pot s'alignent le long des murs. On achète un jeton en plastique et on passe sous un détecteur de metaux avant d'accéder au quai. Apparemment, de nombreux indiens empruntent le metro pour la première fois : ils sont aussi embarassés que moi avec leur jeton.

 

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Je descend a Connaught Place, une vaste place circulaire, bordée d'arcades sous lesquelles défile une foule d'Indiens au pas pressé, de vendeurs, et de touristes. A intervalles réguliers, de jeunes indiens m'emboitent le pas et entamment une discussion calquée sur un modèle unique : "De quel pays venez-vous, ah la France, bonzour comment ca ba? Ou allez-vous? Pour combien de temps en Inde? Je suis étudiant, je vais a Goa, jolies plages, vous allez la-bas?" Ils  n'insistent pas longtemps car je prend mon air le plus bougon et leur repond par monosyllabes. J'achète quelques cartes postales représentant des dieux aux couleurs eclatantes, kitchissimes. Par chance, je tombe sur l'office du tourisme gouvernemental (le Lonely Planet déconseille fortement de s'adresser à des bureaux ou agences privés) qui est encore ouvert a 16h. Là, un Indien efficace et serviable qui me dit s'appeler Manu, va m'aider à réserver des billets de train de Delhi à Hardiwar (la ville la plus proche de Rishikesh où je veux aller admirer les temples, et voir si je peux trouver des choses à écrire sur le séjour des Beatles dans un ashram sur place), puis pour Bénarès et Calcutta. Il réserve par telephone et un jeune commis est dépêché pour retirer les billets à la gare. Normalement, tout se fait par internet, et les billets sont imprimés sur place. Mais (comme par hasard) pas aujourd'hui. Donc j'attends pendant plus de deux heures (à peine 2 heures, me semble-t-il, car en Guinée... mais c'est une autre histoire!) et j'ai mes trois billets de train entre les mains, avec toutes les explications nécessaires,  telles que nom de la gare de départ, numéro du train, etc.

IMGP5160Pendant qu'on attend, Manu me dit que d'ici 2010 les vieux bazars de Delhi, les rickshaws et tout ce qui fait la spécificité et, à nos yeux de touristes, le charme de Delhi, aura été balayé par un grand vent de modernisme. Remplacés par un vaste réseau de metro, des taxis climatisés et de grands magasins de luxe. "Delhi sera aussi chère que Paris ou New York, et en arrivant à l'aéroport, on se demandera où on est" déclare-t-il fièrement. Il me fait apporter un chai, et ne rate pas une occasion de crier sur les jeunes employés qu'il trouve trop bruyants, trop lents et inefficaces. Il dit que la mentalité indienne, dans les grandes villes, est d'une grande modernité, mais que la vie ne change pas assez vite. C'est pour ça qu'il veut aller vivre à Londres et s'y faire naturaliser anglais. Pourtant il déteste les britanniques, pour leur arrogance et leur manque de respect... Il critique férocement la corruption de son propre pays et juste après, il met en avant les qualités typiquement indiennes. De cet espèce de show, je retiens une soif de modernité, de richesse, une impatience réelle ou non face à la pesanteur sociale de son pays... et un paquet de paradoxes à la minute. 

Dans l'avion de Londres à Delhi, j'ai voyagé à côté d'une jeune femme originaire du Penjab, une region du nord de l'Inde. Elle portait un joli salwar kamiz, une longue tunique sur un pantalon.  Souriante, chaleureuse, elle m'a tout de suite adressé la parole et m'a laissé son email pour que je lui envoie des photos de Rishikesh, ou elle rêve d'aller, sans en avoir le temps. Hardeep vit au Canada depuis 24 ans, elle a quitté l'Inde quand elle avait 17 ans. Elle était un peu nerveuse à l'idée de remettre les pieds dans son pays natal, où elle n'est pas revenue depuis 15 ans. Elle y amenait son fils, qui a 15 ans justement, pour un séjour d'un mois. Naturalisée canadienne, elle m'a dit qu'elle préférait le Canada. Pourquoi? Parce que les gens y respectent les lois, et payent leurs impôts et les taxes sans s'offusquer. Et parce que tout fonctionne. De l'Inde, elle m'a confié, en baissant la voix, qu'elle déteste la saleté, le fait que les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent. Le non respect des lois, la corruption. Elle a ajouté, sans avoir l'air d'y croire "Peut-etre que ça a changé". Après l'aterrissage, elle a pointé d'un doigt désaprobateur les zones de terre battue le long de la piste, en faisant remarquer à son fils qu'elles auraient dû être couvertes de pelouse bien nette. Etrange mélange de honte et d'amour pour l'Inde de ces Indiens qui sont ou souhaitent être naturalisés dans d'autres pays...

Cela fait près de 4h que je suis dans mon petit box sur internet, sur le poste à côté se sont succédés lamas pianotant allègrement sur le clavier et touristes, il est 14h ici et je commence à avoir faim. Je vais essayer un autre restaurant ce midi.

Cet apres midi je vais retourner me promener à Delhi, l'esprit leger maintenant que j'ai mes billets de train. Je pars demain soir pour Hardiwar, par un train de nuit. Bon, à nous noodles et lassi!

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Commentaires
C
Super premières impressions! J'ai été transportée de Paris à Delhi au fil de tes mots... C'est génial! Je te suis pas à pas.<br /> Gros bisous.
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