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Valises de rêves

2 mai 2007

Retour

IMGP8069Il m'a fallu longtemps pour me décider à mettre un point final à ce premier voyage en Inde en cloturant ce blog. Peut-être aurais-je dû le faire dès mon retour, début mars, quand j'étais encore comme suspendue entre deux mondes. Quand tout ce qui m'entourait en France me paraissait aussi étranger que l'Inde. Cela a duré plusieurs jours, cette impression de flottement, où les couleurs, les sons et les odeurs me semblaient incomplets. Il manquait la cacophonie de la circulation, les silhouettes des femmes enveloppées de saris éclatants, les clochettes, l'encens... Mais surtout, il manquait les sourires spontanés, la fantaisie, la lenteur, la grâce et le sens de chaque geste, la beauté -la vraie, au naturel. Comme la France est tristounette au retour d'Inde! Essayons d'y mettre de la couleur... A Nantes, j'aime aller au marché de la Petite Hollande le samedi matin, pour la foule multicolore,  car c'est ça qui fait notre richesse, la diversité... Et ces accents venus de tous les continents me donnent le sourire et me font voyager sans bouger.

"On ne fait pas les voyages, ce sont les voyages qui nous font et nous défont", écrivait Nicolas Bouvier. Oui, voyager nous transforme, nous fait remettre en perspective nos systèmes de valeurs et de pensée, nous ouvre les yeux et finalement nous fait grandir (en expérience si ce n'est en sagesse!)

Je me sens profondément reconnaissante à la vie d'avoir pu découvrir l'Inde. C'est comme si j'avais ouvert la porte d'une nouvelle pièce dans la maison du monde, et commencé à entrapercevoir un univers complexe, contradictoire, parfois choquant, mais aussi et surtout fabuleusement riche. Tout ce que j'ai appris au cours de ces trois mois de périple m'appartient, comme un trésor que j'aurais rapporté, précieusement, en espérant ne pas le perdre ni le briser. Maintenant, l'exercice le plus difficile est de faire en sorte que "la joie demeure"... Que le sentiment de liberté, de confiance et d'enthousiasme continue à m'accompagner, même ici. 

La suite, pour moi, constitue un défi, et passe par la publication d'articles et de reportages... Des expositions de photo et peut-être aussi un projet comprenant des textes et des images (que je n'ose pas encore définir comme un livre, mais qui sait...) Vous pouvez aller faire un tour sur www.participez.com qui affiche en une du mois de mai un reportage que j'ai écrit sur Rishikesh.

Merci à ceux qui ont suivi ce récit de près ou de loin, et qui ont laissé ou non des commentaires. Si je n'avais pas eu de lecteurs, ce blog n'aurait pas existé!

Et un dernier message, dédié à tous ceux qui rêvent de voyages, mais que mille raisons entravent, ne vous laissez pas décourager, allez-y, partez, découvrez, visitez... Les plus belles aventures vous attendent, prêtes à s'écrire sur le livre de votre existence.

"L'imagination la plus folle a moins de ressources que le destin." Aveline

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22 février 2007

Jaisalmer, Jodhpur, Pushkar

Aux portes du desert du Thar, Jaisalmer dresse son fort de pierre ocre au sommet d'une colline. Udaipur etait blanche, allongee sur son lac, Jaisalmer a la couleur du sable au soleil couchant. Le desert n'est pas une mer de dunes, mais plutot une terre semi-aride ou poussent des buissons epineux et de petits arbres tortueux, entre lesquels des biches et des paons se promenent... Les gitans sont partis d'Inde, et les habitants du Rajasthan en sont l'evidente illustration. Le hommes comme les femmes font preuve d'un gout et d'un art de la parure epoustouflants. Les femmes portent de larges demi-cercles d'or a la narine, souvent accroche a une boucle d'oreille, et plusieurs rangs de colliers s'enroulent sur leurs saris aux coloris eclatants. Elles cachent leur visage sous un pan de voile, qu'elles rajustent d'une main chargee de bracelets assortis a leur saris. Les hommes arborent de volumineux turbans rouges, saffrans, ou  multicolores. Il sont souvent des boucles aux deux oreilles, de petits brillants ou de gros anneaux ovales de cuivre jaune. Leur dhotis, longues cotonnades blanches enroulees, mi-pagnes mi-pantalons, achevent de leur donner un air oriental. Ces visages au menton ferme, ces nez busques, entre des pommettes aigues, ces yeux sombres embusques sous des sourcils noirs, cette fierte des hommes et la facon abrupte de quemander des femmes que l'on croise dans la rue... Les tziganes ont ici leurs origines, et leur beauté, leur élégance innée sont intactes. 

Je ne me lasse pas de contempler toutes ces couleurs extraordinaires. Jaisalmer, avec ses demeures aux façades de pierre ciselée comme de la dentelle, est une merveille. J'ai experimenté l'une des principales attractions touristiques locales, le "camel safari', une excursion a dos de chameau dans le désert... Deux jours et une nuit, avec un couple d'americains rencontres dans le car en venant d'Udaipur. Une experience inoubliable, autant pour le cote exotique et rare (je dirais meme unique, car vue la douleur, une fois suffit dans une vie) que pour la beaute des paysages. "A la fois fantastique et insupportable" comme l'a justement decrit Johann, l'americain. Oui, trotter a dos de chameau est vraiment le plus inconfortable des moyens de transports. Mais pour voir le soleil se coucher et se lever sur les dunes, ca vaut le coup...

Apres Jaisalmer, Jodhpur, ou je n'ai passe qu'une nuit avant de reprendre le bus pour Pushkar. Jodhpur, la ville bleue... Encore un fort, mais non habite, contrairement a Jaisalmer, dont la vieille ville se trouve dans l'enceinte des remparts (et que l'afflux des touristes menace de plus en plus -notre hotel se trouvait en dehors, un choix "ethique" mais pour etre honnete, surtout lie a la fatigue d'une nuit de bus, et a la facilite, car mes compagnons de voyage et moi avons suivi le proprietaire de l'hotel venu chercher des clients a la station de bus). Bref, un fort de plus... Je vous avoue que j'ai du faire un veritable effort pour grimper jusqu'au fort de Jodhpur et le visiter. Arrive un moment ou le desir de voir, de visiter, de faire le tour des "sites a ne pas manquer" est tout simplement eteint. Et je me suis rendu compte que j'etais arrivee a ce point, a Jodhpur, quand il m'a fallu rassembler toute mon energie et ma volonte pour aller visiter ce fort. Je ne l'ai pas regrette une seconde, evidemment. Mais je pense que je ne peux plus emmagasiner grand chose en terme de decouvertes, je sature! Assez de temples, assez de forts, assez de musees, de lacs, de palais!!! Je n'en reviens pas moi-meme, de constater que ma curiosite s'est tarie... Je rencontre des gens qui voyagent pendant un an ou plus autour du monde... Et me rends compte que je ne pourrais pas continuer a me deplacer comme ca, d'une ville a l'autre, plus longtemps, alors que je n'ai passe que 3 mois en Inde! Je rencontre aussi des gens qui passent un mois dans une ville, voire 5 mois, comme l'espagnol qui loue la chambre voisine de la mienne a l'hotel de Pushkar. Il est photographe et passe son temps avec les gitans. Je crois qu'il est amoureux d'une danseuse tzigane... Ses photos sont superbes. 

Donc, Pushkar, la ville des hippies et des gitans. Un lac, ici aussi, et plus de 500 temples... Les batiments sont magnifiques. Tout est beau. Je n'ai plus de mots pour vous decrire ce que je vois chaque jour et qui me parait maintenant habituel : les singes dans les arbres, les ecureuils sur les murs, les anes, les vaches, les scenes de vie quotidienne toujours si belles... La musique omnipresente, qu'elle s'echappe des boutiques ou des radio-cassettes des chauffeurs de rickshaws, a plein volume. La vie indienne est d'une telle exuberance... Il m'a fallu 4 jours pour trouver le courage d'ecrire ces quelques lignes! Mon appareil photo se repose aussi, comme moi... Assimiler toutes ces experiences, laisser decanter cette foule d'images, de sensations, de decouvertes... Pushkar est "shanti" (paisible) comme le disent ses habitants. On croise ici aussi de vieux hippies qui ont pris la couleur locale. A condition de ne pas succomber aux mille tentations des boutiques, on peut vivre pour presque rien ici. Je resterai bien plus longtemps, a prendre le soleil le matin devant ma chambre, parcourir les ruelles aux murs bleus ou blancs, boire des jus de fruits frais, contempler les couchers de soleil sur le lac... Bon, je commence demain une "cure" ayurvedique de 4 jours, et parmi les recommandations de mon medecin (qui se trouve au rez de chaussee de l'hotel) il y a le fait de ne pas se fatiguer! Alors il est temps que je vous souhaite une bonne journee, ou une bonne nuit, et de beaux reves. Et meme si je ne vous l'ai pas dit depuis longtemps, merci pour les commentaires que vous avez eu la gentillesse de m'envoyer, sur le blog ou non, et qui m'ont toujours encouragee, et parfois remotivee pour tenir ce blog a jour.

12 février 2007

Udaipur

IMGP7598En arrivant dans le Rajasthan depuis Bombay, les paysages que l'on traverse se transforment peu a peu, devenant de plus en plus desertiques. Les rideaux d'eucalyptus qui bordent la route cedent la place a quelques arbres aux troncs tortueux et a des buissons epineux dissemines sur des collines dont les tons oscillent de l'ocre au rose. De petites maisons aux murs de terre sont perchees sur le dos rond des collines. Des cactees delimitent les parcelles ou pousse parfois du ble encore vert. Longeant des sentiers, des femmes reviennent des puits ou des sources, plusieurs jarres d'inox empilees sur la tete. Au bord de la route, des chaufeurs de camion se lavent a la pompe. Leurs vehicules sont abondamment decores du pare-brise aux gardes-boue, arborant un melange detonnant et tres colore de rideaux, fleurs artificielles et peintures.

L'arrivee a Udaipur, en milieu de matinee, ressemble fidelement a toutes les arrivees, en bus ou en train, dans une nouvelle ville. On a a peine le temps de poser le pied par terre que les chauffeurs de rickshaw se precipitent, comme des abeilles attirees par du miel. La fatigue du voyage ne permet pas vraiment de mener des negociations efficaces, mais bon, apres avoir convenu d'un tarif acceptable, on se retrouve a nouveau en route pour un quartier inconnu, ou il est bien difficile de ne pas succomber a la facilite en s'arretant dans le premier hotel venu. Pour denicher une chambre au tarif ideal (150 ou 200 roupies) il faut a nouveau entammer des negociations, et faire preuve d'une patiente insistance. Mais ensuite, pouvoir defaire son sac et prendre une douche procure un rare bonheur.

IMGP7646Udaipur est une ville de contes de fees, fondee au 16e siecle par le Maharadjah Udai Singhji. Ses palais a coupoles se refletent dans l'eau du lac Pichola, sur lequel le Lake Palace, construit sur une ile, dresse ses tours blanches. Certaines scenes du James Bond "Octopus", ont ete tournees a Udaipur. Mon hotel, qui porte le nom original de Lake View, diffuse la film tous les soirs. Cet hotel comporte un nombre d'etages surprenant; des escaliers se croisent, se rejoignent sur de petits paliers d'ou ils montent et descendent, un vrai labyrinthe sur plusieurs niveaux qui pourrait avoir inspire les dessins d'architecture defiant la logique d'Escher. La terrasse, perchee tout en haut du batiment, offre une vue a 360 degres sur Udaipur. Le vent qui souffle me donne l'impression d'etre assise a la proue d'un navire. Les coupoles moutonnent dans la brume cuivree, en arriere plan les montagne s'estompent sur le ciel nuageux. Un oiseau de proie traverse le ciel, planant comme s'il dansait dans les courants d'air, se laissant deriver dans le soleil declinant. La vue est a couper le souffle. Udaipur est une ville romantique a souhait, voire a l'exces quand on s'y promene sans prince charmant!

IMGP7658C'est ici que l'art des miniatures est ne, au 12e siecle. Les peintres immortalisaient sur de la soie, de l'ivoire, du marbre, du bois ou du papier les scenes de la vie des maharadjahs - scenes de chasse, de mariages, de parades militaires... L'elephant, le chameau et le cheval sont associes aux trois principales villes du Rajasthan. A Udaipur, le cheval, symbole de pouvoir, a Jaipur l'elephant, incarnant la chance, et a Jaisalmer le chameau, lie a l'amour. "Le chameau a tres mauvaise haleine, et si on peut aimer un chameau  on peut aimer n'importe qui", affirme sans sourire Rahil, un marchand de miniatures qui propose aussi des massages ayurvediques, des vetements de style occidental et des cours de peinture -sans parler des dessins au henne que sa soeur fait aux touristes, et d'ailleurs, a defaut d'accepter son invitation a diner, je pourrais  venir chez eux pour me faire faire des dessins au henne? Il est Musulman, porte la moustache et des meches colorees au henne dans ses cheveux noirs. Il a le regard tombant et d'epais sourcils horizontaux, et ressemble aux personnages des miniatures qu'il vend.

IMGP7635A Gangaur Ghat, dans un Haveli qui servait autrefois de Guest House pour les nobles, se deroule chaque soir un spectacle de danses traditonnelles du Rajasthan. Des musiciens accompagnent les demonstrations des danseuses, qui reproduisent pour le benefice des touristes les danses mimant les gestes de la vie quotidienne, comme le port des jarres sur la tete.

Assis sur les marches de la cour du Haveli, au pied d'un arbre qui a sans doute ete temoin de ceremonies plus authentiques, les spectateurs se laissent prendre au charme des lieux, de la douceur de la nuit et de la musique.

IMGP7567Le City Palace, le plus grand palais du Rajasthan, domine la ville de ses facades crenelees. Je manque cruellement de vocabulaire pour decrire l'architecture... Mais ce palais, construit en partie par le fondateur de la ville, est une veritable merveille. Au detour de couloirs etroits et d'escaliers tortueux on penetre dans des pieces qui temoignent du gout des maharadjahs pour l'architecture, un art qu'ils cultivaient comme un loisir... Le raffinement et la beaute des decors sont indescriptibles. La vie oisive des maharadjahs et leur gout du luxe et de l'esthetisme leur a fait pousser a l'extreme les fantaisies architecturales. Une piece est entierement couverte de miroirs colores, du sol au plafond. Peintures murales, boiseries ajourees, portes d'ivoire sculpte, dorures, mobilier... En parcourant ce palais digne des mille et une nuits on oublie les IMGP7603groupes de touristes qui suivent les exlications vehementes des guides, en italien, espagnol, anglais, pour imaginer l'epoque ou des gens vivaient vraiment entre ces murs. Et certains details laissent entrevoir l'ampleur des fastes qui entouraient ces princes. Le Maharadjah, considere comme fils du Dieu soleil, ne pouvait pas prendre son petit dejeuner sans voir le soleil. Aussi, en prevision des jours nuageux (comme celui ou je visite le City Palace) un immense soleil recouvert d'or occupe-t-il le mur de la piece ou il prenait ce premier repas, dont je serai curieuse de connaitre le menu!

9 février 2007

Bombay en transit

IMGP7554Apres le calme buccolique de Hampi, et une nuit de bus, l'arrivee a Bombay vous fait voir l'autre face de l'Inde. Celle des bidonvilles et des decharges, dont on ne sait trop ou commencent et ou finissent les uns et les autres. Des egouts qui stagnent au pied des immeubles dont les facades de ciment bavent l'humidite en longues trainees noires. Des sans abris qui dorment sur les trottoirs, entre deux routes, dans les saletes et les fumees des pots d'echappements. Bombay, metropole aux millions d'habitants, expose la misere et la crasse sous un ciel plombe. C'est l'Inde aussi, et quiconque voyage dans ce pays ne peut manquer d'etre choque par tout cela. Mais meme les tres pauvres, ceux qui vivent dans de petites baraques minuscules, faites de toles, de planches, de materiaux indeterminables, parviennent Dieu sait comment a garder une certaine dignite. Au milieu de ces petites habitations de fortune, faites d'une piece au sol surmontee d'une piece desservie par une echelle de bois, des details frappent le regard : l'entourage d'une porte decoree de motifs peints, un petit rideau au crochet au-dessus de l'entree. Et ces details me paraissent illustrer de facon saisissante l'humanite de ces gens si pauvres. La beaute presente dans la misere... Le caniveau passe au pied de ces minuscules bicoques, et les femmes font leur lessive, les hommes se lavent les dents, se preparant a une nouvelle journee. Des fillettes vetues de robes a paillettes se tiennent sur le seuil de ces foyers sombres. Tout est mele. L'odeur des egouts vous souleve le coeur, les tas d'ordures ou fouillent les vaches vous ecoeurent... Oui, tout cela existe. Et aussi les vieilles demeures coloniales aux facades raffinees, et les immeubles flambants neufs qui se dressent au milieu des rues grouillantes de Bombay.

L'Inde n'est pas seulement un enchantement des sens, evidemment. Mais tout ce qui choque ici est aussi present en Afrique, en Amerique du Sud, sans meme parler de la misere de l'Europe. Et ce qui m'interesse, ce que j'ai envie de partager, ce n'est pas la face sombre des choses, mais la face joyeuse, celle qui parle au coeur et eleve l'esprit. Voila pourquoi je decris plus souvent la beaute que la crasse. Et le titre de ce blog mentionne les reves, pas les cauchemards!

Je n'ai passe que quelques heures a Bombay, d'ou j'ai repris un bus pour Udaipur, ou je suis arrivee ce matin, fourbue, epuisee, mais enchantee de decouvrir un nouvel endroit magnifique. Des palaces blancs qui se refletent dans le lac, de petites rues tortueuses ou les maisons ont des balcons ajoures et des terrasses dont la vue vaut des millions...

7 février 2007

Hampi

IMGP7408En Inde on a souvent l'impression d'evoluer dans un autre espace-temps, mais a Hampi encore plus qu'ailleurs. Cette toute petite ville, posee au bord d'une riviere qui serpente au coeur d'un paysage extraordinaire, offre au regard des dizaines de temples plus ou moins en ruines, niches au milieu de gigantesques eboulis de roches. On ne peut s'empecher de penser a un geant qui aurait joue avec des cailloux avant de les eparpiller aux quatre coins de son territoire... Temoins de tres lointains bouleversements geologiques, ces enormes blocs de quartz, parfois poses en equilibre improbable, donnent aux lieux une atmosphere fantastique. Hampi en elle-meme est surtout composee de restaurants, de boutiques pour touristes et d'hotels. Les habitants ont reinvesti ce vieux centre sacre, au milieu des temples, pour tirer profit de l'afflux des touristes. Dans la rue principale, qui mene droit au temple le plus imposant (une tour pyramidale blanche, typique de l'architecture dravidienne) on passe devant de vieux temples reconvertis en habitations ou en ecole : une foule d'ecoliers en uniformes se precipitent entre les colonnes d'un monument qui evoque les temples romains... Et l'antique mele au moderne procure un curieux sentiment, de temps suspendu en plein vol. Tous ces temples dissemines au milieu des rochers ont quelque chose d'emouvant, ces ruines rappellent la gloire passee d'anciens empires, mill fois plus ephemeres que les pierres...

Il y a plus de 500 ans, de puissantes dynasties ont regne sur ces terres, construisant des forts et des temples, menant une vie somptueuse. Le plus celebre des rois de la dynastie Tulu, Krishnadevaraya, est considere comme un roi modele. Monte sur le trone en 1509, il a regne sur un royaume qu'il n'a eu de cesse de faire fructifier, ameliorant l'agriculture et le commerce, s'enquerant des doleances de ses sujets pour y remerdier... Tolerant, il soutenait differentes religions, et ses sujets vivaient en paix, toutes castes et communautes confondues. Instruit et cultive, il a soutenu et finance les arts et la religion, et les fastes de la cour semblent avoir ete particulierement grandioses : parades nocturnes de torches, processions en chariots, defiles de chevaux, d'elephants... Sous le regne de Krishnadevaraya, on rapporte que les femmes maitrisaient le tir a l'arc, la lutte, l'astrologie, la musique et la dance. Elles travaillaient aussi comme garde-corps, juges et gardiennes.

De cette lointaine epoque, demeurent les temples, eparpilles tout autour du centre de Hampi, dans un rayon de plusieurs km. Je n'ai jamais vu un paysage aussi etrange! La pierre, l'eau, la vegetation se melent pour former un tableau fascinant. Sur la rive nord de la riviere, que l'on traverse en bateau, quelques hotels et restaurants bordent la rive, et derriere, des rizieres inondees etalent leur tapis vert tendre, visitees par les oiseaux (les eternels corbeaux gris et noirs, mais aussi de gracieux herons blancs, de petits oiseaux noirs et blancs, de sublimes martins pecheurs dont l'interieur des ailes est d'un bleu irreel, plus bleu que bleu!). De grosse libellules de bronze survolent les ruisseaux qui irriguent les rizieres. Des fleurs sauvages escaladent les bas cotes. Et sur fond de rochers beige-roses, des palmiers agitent doucement leurs franges vertes, donnant au paysage un aspect d'oasis au milieu du desert. La nuit a Hampi appartient aux insectes et aux batraciens. Dans l'air tiede la rumeur des grenouilles, des grillons, des criquets, croit et decroit, monte de la riviere et des rizieres et emplit le ciel pique d'etoiles.

Cela fait deux mois que je suis en Inde et j'ai totalement succombe au charme de ce pays. La petite musique de l'Inde est ce qui vous prend au coeur, et cette petite musique est faite de mille choses simples. C'est le son grele et joyeux des clochettes aux chevilles des fillettes et des femmes, qui accompagne leur demarche gracieuse. La symphonie des couleurs, partout, qui parlent a l'ame et transfigurent l'ordinaire en visions magiques. Couleurs des saris, des fruits, des murs des maisons, des mandalas dessines au seuil des maisons. Cette petite musique, c'est aussi le sourire des enfants, des gens, spontane comme leur curiosite. "What's your name?" vous demandent-ils toute la journee. Juste pour savoir. Et chacun continue son chemin. L'Inde possede tout ce que nous avons perdu. Le temps de rire, de parler aux inconnus, de s'asseoir sur le pas de sa porte et de contempler la vie de la rue. "Good Morning!" vous lance a toute heure du jour le marchand de chai et de samosas qui a etabli son echoppe ambulante sous un arbre face au temple. Et il rit avec vous car il est 17h passees. La grace des gestes, l'harmonie des couleurs. Tout ce qui nous manque si cruellement dans nos pays occidentaux. Un enfant qui escalade vos genoux et joue avec vous. Une vache qui passe, nonchalante, belle et indifferente, devant une porte decorees de motifs qui s'ouvre sur une piece fraiche et sombre. Une femme qui peigne ses longs cheveux en bavardant avec sa voisine. Evidemment il y a aussi le reste, la salete, la pauvrete etc etc. Mais tout cela existe partout. La beaute de l'Inde, la philosophie de ses habitants, est unique. Avant de partir, j'ai lu un livre ecrit par un psychiatre attache a l'ambassade de Bombay, intitule "Fous de l'Inde". Il y decrit le vertige -souvent lie aux drogues- qui saisit de nombreux occidentaux en Inde. Il parle du "sentiment oceanique" que l'on ressent ici, cette qualite maternelle de l'Inde, ou l'on se sent berce par un rythme intemporel, enveloppant, ou l'on perd toute notion de temps, de lieu, d'identite. Effectivement, l'Inde (Mother India) est feminine, maternelle. Hors des villes surpeuplees et surpolluees, qui appartiennent au monde moderne, on se sent berce par l'atmosphere de ce pays si grand, si contraste, si incroyable. Quand on arrive de l'Ouest, et que l'on surmonte le premier choc, ce que l'on decouvre de l'Orient est comme la partie manquante a notre culture, que l'on retrouverait apres la traversee d'un desert. La ou nous avons la rigueur, la raison, l'intellect, l'economie, la rigidite, les certitudes, nous trouvons la fantaisie, le rire, l'intuition, la fatalite, la souplesse, l'humilite. "Don't think too much!" vous dit-on a tout bout de champ, alors que vous froncez les sourcils. Nous percevons l'abandon au destin comme une coupable paresse, mais tout n'est qu'une question de point de vue... Ce qui est passionnant, c'est de percevoir l'etendue des visions possibles de la vie, determinees par la geographie, l'epoque, la religion... Nous sommes tous les memes, et pourtant nous avons des facons si diverses d'observer et de comprendre le monde, et tellement de facons de vivre... Chaque jour en Inde, on est renvoye au poids de sa propre culture, a son influence sur nos actions et nos jugements.. Mais ce pays nous apprend a etre moins cerebraux et plus sensitifs. C'est une fete pour les sens, et quand on vit a travers son regard, son odorat, ses papilles, on est plus proche du bonheur...

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6 février 2007

Auroville, suite et fin

Finalement, d'Auroville, je retiendrai surtout les etres et l'epoque qui ont permis sa creation. Cette ville ideale etait une utopie, un reve ne dans l'esprit d'une femme hors du commun, qui a mene une vie dediee aux recherches spirituelles. En Inde, ou le sacre est constamment present, cela ne semble pas pas si etrange... J'ai rencontre un Francais qui est arrive a Pondicherry en 1968, l'annee de l'inauguration d'Auroville. Il a suivi de pres l'evolution de l'experience, surtout dans les premieres annees. "Sur la cinquantaine de personnes qui etaient la au debut, il n'en reste plus qu'une dizaine. Certains sont restes 10, 20 ans, puis en ont eu assez et sont partis. Aujourd'hui, il doit y avoir environ 300 familles qui vivent a Auroville. Des Europeens pour la plupart. On devrait dire "Euroville", sourit-il. Au depart, Auroville etait un bel ideal... Pas d'argent, un systeme communautaire ou chacun construisait sa maison, participait aux travaux, mais ne possedait rien... Les enfants des premiers habitants ont maintenant plus de 30 ans. Ils se moquent completement des idees de leurs parents! Et dans les fetes qui ont lieu toutes les semaines, l'alcool fort et les drogues circulent." Il hausse les epaules et fait une grimace deabusee. Du reve a la realite... Finalement, Auroville, chacun en a sa vision. Pour ma part je n'aurais fait que sillonner la surface des choses, en parcourant les routes ombragees du site, decouvrant au hasard de mes tours et detours des pavillons futuristes niches dans la verdure, une fabrique de savons artisanale, des jardins botaniques et des serres... En repartant en fin d'apres midi, je suis passee devant une aire de jeux ou des adolescents jouaient au foot  et de petites tetes blondes courraient sous l'oeil attentif de leurs mamans. il n'y avait la pratiquement que des occidentaux. S'installer a Auroville coute cher, comme le precise une brochure destinee aux visiteurs qui souhaiteraient tenter l'experience : il faut compter au moins 45 000 euros pour les trois premieres annees, afin de construire sa maison, acheter un deux-roues... Auroville attire les curieux, les personnes en quete de vie spirituelle, ceux qui veulent vivre autrement... Mais ce n'est pas exactement la grande ville ideale imaginee par sa fondatrice, il y a plus de 40 ans. Une autre epoque... 1968, c'est aussi l'annee ou les Beatles sont venus passer plusieurs mois a Rishikesh, dans un ashram, ou ils ont compose pres d'une cinquantaine de morceaux... L'aventure s'est terminee abruptement, ils sont partis en traitant leur gourou d'escroc. Plus nos attentes sont elevees, plus on risque d'etre decu...

3 février 2007

Auroville - 2

IMGP6890Deux jours apres ma premiere excursion, je retourne a Auroville en bus, et loue un velo une fois arrivee a Auroville Beach. Circuler sur les petites routes ombragees est toujours aussi agreable. Je m'arrette a une petite librairie qui propose des livres de Sri Aurobindo, la Mere et autres figure sspirituelles, et discute un moment avec le proprietaire, un jeune homme originaire de l'Orissa. Il a fait partie de la communaute d'Auroville pendant plusieurs annees, mais la realite n'etait pas a la hauteur de ses attentes et il a ete decu. Decu par l'ambiance de travail, tout a fait ordinaire et terre a terre -il a travaille a Auroville en tant que serveur, commercial et porofesseur de maths... Decu par l'importance de l'argent dans le systeme, decu par la politique dans les prises de decisions. Il pense desormais qu'il n'est pas possible de fonder une grande communaute sur des bases spirituelles. Il a donc prefere quitter Auroville et ouvrir sa librairie, car il pense qu'un livre peut changer le cours d'une vie... Il raconte que la Mere avait une vision tres precise de ce qu'elle voulait creer. Elle voyait une ville de 50 000 habitants, avec un areoport international, et pensait qu'en l'an 2000 les Jeux Olympiques se derouleraient a Auroville. Apres sa mort, l'esprit des lieux s'est delite. Le libraire m'explique que les differents aspects d'Auroville sont geres par de petits groupes. Si le Matrimandir n'est toujours pas fini, c'est parce que les membres du groupe responsable ne parviennent pas a se mettre d'accord sur son amenagement...

Cette fois-ci, le centre des visiteurs est ouvert. Je peux donc regarder une video qui presente de facon tres esthetique et tres inspirante le reve de la Mere. Elle voulait fonder une cite basee sur l'unite humaine, sur l'emulation et la quete du progres collectif, Le projet qu'elle a lance, a la fin des annees 1960, etait celui d'une ville ideale, un laboratoire experimental ou chaque individu pourrait s'epanouir en l'absence de toute contrainte materielle, dans un environnement propice a l'harmonie, en constante recherche d'amelioration. Mais le film depeint une vision plus qu'une realite. Les realisations concretes d'Auroville ont eu lieu au tout debut de sa creation. Apres l'inauguration en 1968, lorsque de la terre venant de presque tous les pays du monde a ete versee dans une urne en forme de lotus et que la Mere a lu sa charte fondatrice. Les premieres installations ont ete rapidemment construites, dans des conditions rudes : pas d'eau ni d'electricite, et une chaleur torride sur le plateau desertique. Les premiers pionniers, portes par l'energie federatrice de la Mere, ont donc commence a concretiser son reve. Les personnes interviewees dans la video evoquent toutes la puissance de la Mere, son charisme, sa capacite a communiquer aux autres l'envie de participer a une experience collective totalement unique. "Quand elle parlait de son projet, on avait envie del'accompagnber, de faire partie de l'aventure" se souvient un aurovillien qui l'a cotoyee.

Mais depuis les progres se sont ralentis. Cependant Auroville utilise des energies renouvelables, l'agriculture biologique, a mis en place un reseau d'eau "energisee". Et de nombreux produits sortent de ses unites artisanales : savons, encens, vetements, fromages (un choix impressionant de delicieux fromages), pain, livres et cartes postales... Le tout de bonne qualite et vendu a des prix assez eleves. L'aspect commercial d'Auroville, qui avait pour ambition d'etre independante et auto-suffisante, est florissant. Les villages qui se trouvent dans la zone d'Auroville beneficient aussi de la ville, apparemment. Les villageois travaillent dans les unites de production, des ecoles ont ete crees afin de leur fournir une meilleure education... Le passage des touristes fait egalement vivre les petits commerces locaux. A Pondicherry, un papetier a qui j'achete un crayon et une gomme, et avec qui je bavarde un moment, me dit "Le niveau de vie des habitants autour d'Auroville s'est ameliore depuis que la ville existe. Auroville a eu des effets positifs sur l'environnement et pour les villageois."

A ce stade, une question se pose a moi. Mais qui est donc la Mere? Une abondante litterature lui est consacree et satisfait ma curiosite. Elle est nee a Paris en 1878, sous le nom de Mirra Alfassa. Son pere etait Turc et sa metre Egyptienne. Deux pays qui se trouvent a la jonction entre l'Orient et l'Occident, comme le souligne sa biographie, qui ajoute qu'elle a incarne de facon remarquable cette union entre les deux axes opposes. Des l'age de 5 ans, la fillette pratique la meditation et se sent investie d'une mission... Sur une photo ou Mirra a 8 ans, elle pose, tres droite, le visage extremement serieux, empreint d'une intensite surprenante. De ses yeux noirs, elle vous vrille d'un regard sans fond. Une etrange petite fille, qui a deja une presence hors du commun. A travers l'occultisme, les experiences psychiques et spirituelles, elle developpe des capacites partciulieres. L'existence de Dieu lui est revelee ainsi que la possibilite pour l'homme de parvenir a une union avec le divin en le manifestant dans sa propre vie grace a une discipline spirituelle. Elle fonde differents groupes d'etudes spirituelles. Dans l'un d'eux, intitule "Cosmique", on retrouve Alexandra David-Neel, la tibetologue. L'objectif que Mirra se fixe a cette epoque, est la realistation progressive d'une harmonie universelle. En parallele, Mirra Alfassa evolue pendant 10 ans dans le milieu artistique parisien de l'epoque, parmi les impresionnistes, et epouse en premieres noces un peintre de l'ecole de Gustave Moreau.

Sri Aurobindo, quant a lui, est un pillier de la culture indienne. Poete, politicien dans ses jeunes annees, philosophe et yogi, Sri Aurobindo a developpe une nouvelle forme de spiritualite "pratique", le Yoga integral, dont le but est de faire decouvrir l'unite en tout et d'evoluer vers une conscience plus elevee que le mental, vers une "supermind". Quand Mirra rencontre Sri Aurobindo a Pondicherry en 1914, elle reconnait en lui un etre superieur, qui lui est deja apparu au cours de ses meditations. De fait, ils poursuivent tous les deux la meme quete, et travaillent a une perpetuelle elevation de la conscience humaine, en vue de manifester le divin sur terre. Six ans plus tard, elle revient en Inde, d'ou elle ne partira plus. Desormais compagne spirituelle de Sri Aurobindo, elle fonde avec lui un ashram qui attire aujourd'hui encore a Pondicherry un nombre impressionnant de fideles. Aurobindo est mort longtemps avant que la Mere mette sur pied le projet Auroville. Elle est decedee a 95 ans, intense et inspiree jusuq'a la fin.Aujourd'hui, tout Pondicherry venere ces deux etres hors du commun, comme des dieux vivants. Leurs portraits sont accroches dans les hotels, les magasins, les restaurants, a la gare... Dans l'epicerie ou j'achete de l'eau minerale tous les jours, un grand calendrier presente une photo en noir et blanc de la Mere, juste derriere le comptoir. La proprietaire est une petite dame au visage rond, comme la plupart des femmes que l'on croise ici, avec de grandes lunettes. Derriere les verres, elle a un regard penetrant. Son sourire est leger, mais expressif. Menju est venue a Pondicherry avec son mari il y a 30 ans, pour voir l'ashram, et elle n'a plus jamais voulu repartir. "J'ai senti que c'etait un endroit ou je voulais vivre". Elle lance un coup d'oeil en direction de son mari, qui est completement dissimule derriere le comptoir "Je l'ai convaincu de rester" explique-t-elle avec un eclat de malice dans le regard. "Je voulais rester pour travailler dans l'ashram, pour y etudier." Elle parle a voix basse, et je dois tendre l'oreille pour comprendre son anglais precis mais roulant comme des galets dans une riviere. "La Mere, c'est une divinite. Sri Aurobindo, lui, nous a laisse des textes et un enseignement eleves." Elle se penche sous le comptoir et extrait d'une etager un sachet de plastique qui protege des livres relies en cuir pourpre. Les dorures son tusees, et les pages abondamment annotees. Ce sont des recueils de poemes et de textes d'Aurobindo. Menju me regarde, le visage illumine par la foi. Plus que les mots, son attitude toute entiere fait echo a son respect, sa gratitude pour les deux personnages qu'elle evoque. Elle penche la tete sur le cote et ses yeux transmettent quelque chose qui est d'une nature lumineuse et pure. Elle me demande si je suis deja allee a l'Ashram. Elle-meme y va tous les jours pour travailler et mediter. "Aurobindo et la Mere voulaient l'unite de l'humanite -une ere nouvelle. Et pas seulement en Inde, mais dans le monde entier" explique-t-elle en tapotant la couverture du recueil de poemes. "On dit que la nature rassemble les hommes, qui sont tellement divises aujourd'hui. Eh bien, voyez le tsunami: il a rassemble les peuples, a travers tous les dons qui  ont ete faits. La nature a vraiment le pouvoir de rassembler les hommes" conclue-t-elle.

Baignee de l'atmosphere mystique qui regne dans l'epicerie de Menju et son discret mari, je me rends a l'ashram dans l'apres-midi. Des que l'on passe la porte, on penetre dans un jardin de rocailles, et de dalhias en pots. Des dizaines de fleursqui offrent leur tete ronde au soleil. Dans la cour, sous un venerable flamboyant, se trouve le tombeau dans lequel reposent la Mere et Aurobindo. Il est couvert de fleurs qui dessinent des motifs colores. Venere comme un autel, le tombeau de marbre recoit les devotions des visiteurs. Agenouilles devant le monument, ils posent le front sur le rebord de pierre, touchent les fleurs du bout des doigts, en prelevent parfois pour les emporter ou les manger. Je m'assois par terre parmi les gens qui font face au tombeau. L'atmosphere est chargee d'un eenergie palpable, qui me rappelle la paix et la serenite qui planent sous le Bodhi Tree a Bodhgaya. Les deux etres qui reposent la ont sans doute rayonne avec une telle intensite qu'ils ont impregmes les lieux. Je me sens en paix, l'esprit tire vers le haut. C'est tellement puissant, que mon mental se demande s'il est bien temoin de ce qu'il percoit. Je reste assise la peut-etre une heure, puis je me sens prete a ressortir de la cour, comme si j'avais absorbe suffisamment de calme et d'energie pour cette fois. Je suis retournee tous les jours a l'ashram de Sri Aurobindo jusqu'a mon depart de Pondicherry. Simplement m'asseoir pres de l'arbre et du tombeau, contempler les fleurs, fermer les yeux et me laisser envahir par la lumiere des lieux.

25 janvier 2007

Auroville - 1

IMGP6770Auroville... Avant de mettre pied a Pondicherry, j'etais intriguee par le concept meme de cette "ville de l'Aurore" fondee il y a 39 ans par la Mere, une francaise, compagne spirituelle de Sri Aurobindo. Des noms inconnus, et un vaste point d'interrogation. J'ai commence par aller a Auroville, en louant un velo a Pondicherry, mais j'ai choisi un mauvais jour : c'etait mercredi, le quatrieme jour du Pongal... Pas tres a l'aise sur mon velo dans la circulation, je sors de la ville en zigzagant entre les rickshaws, les pietons, les voitures, les motos, les bus... La route est parfaitement plane, et elle longe la cote. Apres les dernieres maisons de Pondicherry, des plantations de cocotiers bordent l'asphalte, jetant une ombre poudreuse sur quelques huttes en bambous disseminees sous les arbres. Sur la route, de nombreux occidentaux a moto passent dans les deux sens. Apres 5 km, j'arrive au croisement d'ou part la route pour Auroville. Il vaut mieux demander sa direction car le panneau, plante exactement au niveau de l'embranchement, n'est ni tres visible ni tres pratique. De la restent 8 km a parcourir jusqu'au Centre des visiteurs, qui est le premier endroit ou obtenir des renseignements quand on arrive. Des deux cotes de la route se suivent des guest houses, restaurants, boutiques d'artisanat ou ateliers de sculptures, la plupart fermes. Le premier village que je traverse est en pleine effervescence : une statue doree de Ganesh, protegee sous un chapiteau de velours rouge, est transportee dans un petit chariot tire par un tracteur. Autour, des jeunes filles vetues de rouge semblent attendre le debut d'un defile. Sous les arbres, sont etalees des batteries de cuisine en inox, et des gadgets de fete foraine, aussi inutiles que seduisants, fleurs artificielles, telephones mobiles en plastique rose, ballons en peluche... Je continue ma route dans ce qui ressemble a un vaste parc, ou les plantations de differentes especes se succedent. Auroville, quand elle a ete creee, se trouvait sur un plateau de terre rouge aride et ravinee. Ses habitants ont plante plus de 2 millions d'arbres, transformant les lieux en un grand espace frais et ombrage. Faire du velo sur cette petite route toujours plane est un vrai bonheur. De rares panneaux indiquent des directions aux noms etranges, comme "Unity", "Solar Kitchen", "Certitude". Au Centre des visiteurs, le portail est ferme et les gardiens me rappellent qu'aujourd'hui, c'est (encore!) Pongal, et jour ferie. Bon. Je rebrousse chemin et vais voir le Matrimandir, la sphere doree qui represente le coeur d'Auroville. En son centre, une salle de meditation en marbre contient un cristal que traversent les rayons du soleil. Mais les travaux sont interminables et le Matrimandir est semble-t-il rarement accessible au public, sauf de loin. Un parcours delimite par des ficelles draine le flux des visiteurs, pour la plupart des Indiens venus en bus de tourisme. Douze jardins rayonnent autour du Matrimandir, representant douze etats de l'humanite.

IMGP6793Je reprends mon velo, et continue a explorer les routes d'Auroville. Je debouche a un moment, presque par megarde, sur un terrain qui entoure la Cuisine Solaire, fermee elle aussi. En fait, a ce stade je commence a me demander ou se trouve reellement Auroville! Quant a ses habitants, tous ceux que je croise sont a moto, et filent, cheveux au vent, visage bronzes. Des jeunes et des moins jeunes, qui ont tout de 'vieux hippies", habilles exactement comme leurs cadets, mais les cheveux gris ou blancs, et des rides en plus. Une mamie a cheveux blancs porte meme des couettes. Un peu perplexe, non a cause des couettes (enfin, un peu quand meme!) mais parce que je n'arrive pas a me faire une idee de ce qu'est vraiment Auroville, je continue ma balade.

Puisque tout est ferme, il reste la plage, au niveau de l'embranchement avec la route qui relie Pondicherry a Madras. Eh bien, pour la seance de baignade et bronzette, ce n'etait pas non plus le bon jour! Les indiens ont tellement bien fete Pongal, et surtout arrose, que la plage est pleine d'hommes saouls, qui titubent en plein soleil. Un petit groupe d'occidentaux est installe sur des serviettes. J'apprends que d'abitude cette plage, Auroville Beach, est tacitement separee en deux, un cote pour les Indiens et l'autre pour les etrangers. Mais aujourd'hui, les gardes cotes qui font respecter cet etat des choses sont en conge. Et les Indiens sont ivres. Un jeune anglais, benevole dans une ONG de developpement rural me dit qu'Auroville n'est pas vraiment accueillante pour les visiteurs, et que lui non plus n'arrive pas a determiner ou se trouve vraiment la ville, ni ce qui la constitue. Les panneaux qui indiquent mal les directions egarent un peu plus les badauds. Il me raconte que le proprietaire de sa Guest House a passe la premiere anne de test pour devenir Aurovillien, puis qu'il a abandonne car le systeme ne lui plaisait pas. "Apres la mort de la Mere, on raconte que les choses ont change, c'etait elle qui etait au centre de tout le projet, et personne n'a vraiment pris la releve." La conversation est interrompue car ses deux copines Hollandaises en maillots de bain declenchent presque une emeute, en refusant de voir l'attroupement d'hommes hilares qui les regardent avec des yeux prets a sortir de la tete, en faisant des photos avec leurs telephones. Un garde cote en conge s'approche et leur demande de se rhabiller, ce qu'elles finissent par faire avant que les choses degenerent. Peu apres, une escouade de gendarmes en uniformes, hommes et femmes, arrivent sur la plage avec leurs matraques et interdisent tout bonnement la baignade, sans doute de peur que les ivrognes se noient. Bon. Decidement cette journee n'est pas propice a grand chose! Je reprends la route pour Pondicherry. J'ai l'impression de n'avoir rien vu, rien compris d'Auroville. Je vais devoir revenir. Le lendemain, alors que je bois un lassi dans une petite boutique de jus de fruits, une Francaise vient s'asseoir a cote de moi et entame la conversation. C'est une parisienne, qui commence par me dire qu'elle est venue se faire refaire les dents ici car les soins dentaires sont beaucoup moins chers qu'en France. Elle est logee dans une maison indienne, a Auroville. Cela fait plusieurs annees qu'elle vient, car elle aime l'endroit, meme si elle ne parle pas du tout anglais. Sur Auroville, elle me dit plus ou moins la meme chose que l'anglais la veille. "Apres la Mere, il y a eu son successeur spirituel, mais ensuite il s'est retire, il y a longtemps, et certains racontent qu'il est toujours a Auroville, mais qu'il se cache..." D'apres elle, les habitants ne sont pas faciles a rencontrer, et beaucoup de rumeurs courent sur l'argent, la hierarchie, la politique qui preside aux decisions prise a Auroville. L'air d'une conspiratrice, elle me glisse "On dit que tout en haut, ce sont des Juifs qui tirent les ficelles". Hum. Decidement Auroville ressemble a une star, drapee dans un mystere propice a toutes les rumeurs. 

21 janvier 2007

Pondicherry la belle

IMGP6685Pondicherry est une ville pleine de senteurs et de fleurs, qui exude un charme torride de belle creole. L'epoque coloniale francaise, au 18e et 19e siecles, a laisse une empreinte particuliere ; un quartier aux larges avenues ombragees proches de la promenade du front de mer, ou les maisons oppulentes paraissent emerger tout droit de l'epoque ou l'on circulait en caleche attelee, dans des rues aux noms insolites en Inde : rue du Bazar St Laurent, rue Saint Ange, rue Labourdonnais, rue Saint Louis... Un canal d'eau stagnante exhalant des relents putrides traverse la ville dans toute sa longueur, delimitant plus ou moins le quartier indien et le quartier francais. La chaleur decuple toutes les odeurs, et Pondicherry est une ville tropicale, ou l'on est assailli par des aromes de cafe moulu, d'encens, d'ananas fraichement decoupe, et par les parfums des femmes.

IMGP6740Ici plus qu'ailleurs, je suis frappee par la beaute des Indiennes, leur art de la parure. Elles accrochent des guirlandes de fleurs dans leurs longues tresses noires, portent des rangees de bracelets brillants, des boucles d'oreilles en or aux formes compliquees, de larges fleurs d'or sur le nez, parfois une sur chaque narine... Les petites filles ont aussi des bracelets aux deux chevilles, dont les clochettes teintent a chacun de leur gestes. Parfois leurs parents leurs font des taches noires sur le front, la joue et le menton, pour eloigner le mauvais oeil que pourraient lancer les gens qui les trouveraient trop jolies... Comparees aux hommes, les femmes sont tellement plus raffinees et decoratives! Certaines ont les cheveux courts, ce qui leur donne un air qui me fait penser aux creoles des iles. Les hommes sont habilles de facon plus decontractee, certains avec un pagne autour de la taille, qu'ils remontent a cause de la chaleur, formant une sorte de jupe bouffante au-dessus du genou.

Je ne me lasse pas de parcourir les rues de Podicherry, dont le plan est on ne peut plus simple, toutes les rues sont paralleles ou perpendiculaires a l'ocean. Il n'y a pas de plage mais des rochers, sur lesquels les familles s'assoient et mangent une glace face aux vagues. On voit souvent des hommes marcher en se tenant par la main, comme les jeunes filles. Mais des couples, beaucoup plus rarement! Dans les parcs et les jardins, la vegetation est abondante, bougainvillees, frangipaniers, tulipiers... on peut facilement parcourir la ville a pieds, aller du centre ville, qui fait la jonction entre les deux quartiers, au front de mer, puis au musee, au jardin botanique, au marche...

IMGP6844J'ai une chambre au Amala Lodge, rue Ananda Rangapillai... Des noms qui chantent et m'enchantenet, comme le fait de me trouver a Pondicherry. Mon hotel est plein de plantes en pot, et ma chambre, sur la terrasse, a des fenetres qui ouvrent sur la rue et sur un coin avec table et banquettes. Elle est agreable, et apres le cagibi de Mamallapuram, c'est appreciable de pouvoir circuler et respirer dans sa chambre. C'est en plein centre ville : c'est bruyant, anime, vivant a souhait!  Pondicherry se couche tard et se leve tard aussi, les magasins ouvrent lentement vers 9h, 9h30. Le soir, on entend des klaxons, des bruits de travaux indertemines (perceuses ou foreuses...) des motos qui vrombissent, des eclats de voix, jusque vers minuit. La nuit l'air est plus frais et les gens sortent se promener dans l'apres midi. Nehru Street et Mission Street, deux arteres principales de Pondicherry, concentrent une grand part du commerce, qui evoque un bazar melant orient et occident. Fleurs articfielles, sacs a mains, vaisselle en inox, chaussures en faux cuir, vetements de style indien et occidental, tout un tas de bibelots s'entassent le long des rues ou l'on peut trouver tout ce que l'on cherche, qu'il s'agisse de cotons tiges, d'eventails en plumes de paon ou de peignes en plastique.

IMGP6950Le marche Goubert, a deux pas de mon hotel, est un labyrinthe d'allees couvertes ou l'on se faufile entre des pyramides de tomates, choux-fleurs, oignons, aubergines, citrons, des sacs de jutes pleins de pates aux couleurs parfois surprenantes (bleues, rouges, vertes...), des montagnes d'epices aux tons jaunes, ocres, briques, des tas d'herbes fraiches, persil, menthe, coriandre... Il y a les allees des fleuristes, ou des paniers debordent de roses, oiellets d'Inde, fleurs blanches aux longues clochettes, qui sont vendues au poids ou tressees en guirlandes decoratives, que les femmes mettent dans leurs cheveux, mais qui ornent aussi bien les voitures ou les devantures de magasins ou les maisons.

IMGP7063La halle des poissonnieres est la plus animee et haute en couleurs. Comme partout dans le monde, les marchandes donnent de la voix, invitant les menageres a admirer leurs poissons, crevettes -dont certaines sont vraiment magnifiques- et crabes. Elles manient le couteau a grands coups sur les billots de bois, pesent d'enormes morceaux de poissons qui ont l'air tous frais peches. Bref, une promenade dans ce narche donne envie d'avoir une cuisine et de pouvoir preparer des plats soi-meme... Mais a defaut, je fais des photos! Et je goute des pltas dont les noms me sont souvent totalement inconnus ce qui offre des surprises plus oumoins plaisantes... La base de la cuisine locale est principalement composee de sauces variees, avec des legumes ou simplement des condiments et aromates, dans lesquels on trempe des chapatis (galettes de ble), des dosas (crepes fines et croustillantes), des idlis (petites galettes moelleuses a base de riz), ou des beignets frits. Le tout est mange avec les doigts de la main droite, la gauche etant reservee aux taches impures, comme au Maroc ou en Afrique.

Je suis arrivee a Pondichery en plein Pongal, un festival dont les celebrations se deploient durant quatre jours dans tout le Tamil Nadu. C'est la fete de la nouvelle recolte de riz paddy. Le premier jour est reserve a l'elimination des vieux objets inutiles : on brule devant chaque maison des feux de purification. Le lendemain est consacre au Dieu soleil, que l'on remercie pour avoir permis au riz de murir. Puis l'on celebre le betail,  vaches et boeufs, qui ont fourni leur travail et leur lait. Des defiles de vaches parees de decorations rutilantes ont lieu dans les rues. Enfin le quatrieme et dernier jour, ont lieu les benedictions familiales, qui rassemblent les proches. Des mandalas colores sont dessines sur le seuil des maisons pendant ces jours de fete, et les gens dans la rue vous souhaitent "Happy Pongal!" C'est le proprietaire d'une papeterie dans ma rue qui m'a explique la signification du Pongal. Je lui ai achete un stylo, un crayon et une gomme, et j'ai repondu a ses questions sur la France et sur mon voyage avec une bonne volonte qui m'ont valu d'etre invitee a boire un chai dans la boutique, en face, d'un marchand de matelas. Sa femme nous a servi trois tasses de the, et mon papetier a continue la conversation entamee dans son magasin. Son accent roulant etait parfois si prononce que son anglais me paraissait etre du Tamil! Mais ce qu'il m'a raconte sur le Pongal et sur Auroville etait interessant. Auroville... Cette cite ideale inauguree en 1968 par une francaise visionnaire et sans doute un peu illuminee, ne cesse de m'intriguer. Je suis partie en quete d'Auroville, qui se trouve a une douzaine de km de Pondicherry, mais trouver la ville, et ses habitants, s'est avere plus complique que prevu. Je vous raconterai cela dans un prochain message.

16 janvier 2007

Mahabalipuram/Mamallapuram

IMGP6548Le trajet de Puri a Mahabalipuram s'est deroule en etapes successives, que je souhaite vous decrire pour que vous compreniez ce que represente un deplacement d'une ville a une autre, sur la grande carte de l'Inde. Premiere etape, un cycle rickshaw (ce qui implique naturellement des negociations, et comme toujours, une fois arrives, le prix ne convient plus au chauffeur qui secoue la main d'un air fort mecontent alors que je lui donne la somme convenue au depart...) de mon hotel jusqu'a la gare routiere de Puri, ou je prends un bus jusqu'a Bubaneshwar, a 1h30 de route. Le chauffeur ecoute de la musique de film hindou a plein volume, parle au telephone, bavarde avec le passager le plus proche de lui, entasse sur son tableau de bord des offrandes de fleurs qu'il recupere, par la fenetre, a plusieurs reprises, et accessoirement, conduit a toute vitesse, zigzagant entre les vaches, les velos, les rickshaws et les pietons, qu'un accolyte se charge de prevenir de l'arrivee de notre bolide en tapant de grands coups du plat de la main sur la paroi du bus et en criant. A Bubaneshwar, un train, ponctuel, qui part a 21h45 et arrive a Madras le lendemain a 18h30. Il a pris 3h de retard au fil du trajet. J'ai dormi presque toute la journee, allongee de tout mon long (cette fois mon sac etait case sous la banquette) sur ma couchette en hauteur, mollement bercee par le roulement du train. Malgre toutes les siestes que j'ai faites, je suis fatiguee en arrivant a Chennai (le nouveau nom de Madras). Une fine pluie tiede tombe sur les faubourgs delabres de la ville, que nous traversons au ralenti pendant pres d'une heure. Le quai de la gare ou le train s'immobilise enfin est interminable et envahi d'une foule de voyageurs. De gros ballots empaquetes de tissus epais s'entassent sur le quai et laissent echapper des effluves d'epices intenses et entetantes. Madras est un nom qui chante, qui evoque une histoire riche et chamarree, celle de la route des epices et de la soie. Chennai est bien moins poetique. C'est le nom de l'une des plus grandes villes indiennes, une metropole surpeuplee et etranglee par la pollution. Je partage un rickshaw avec un etudiant nepalais jusqu'a la station de bus. Comme il me le repete, l'Inde compte plus d'un milliard d'habitants, un sixieme de la population mondiale. La circulation est infernale, suffoquante. De Chennai, je n'aurai vu que la gare, immense, grouillante, etouffee par une chaleur humide, et les embouteillages. Apres pres de 45 minutes j'arrive a la station de bus. Il me faut encore identifier le bon, ce qui implique de trouver quelqu'un prenant le meme bus que moi - une jeune femme enveloppe d'un sari rose, une grappe de fleurs blanches fixee dans sa longue tresse noire, va aussi a Mahabalipuram et m'indique le bus quand il arrive. Vite, vite, il faut se depecher de monter dedans, en escaladant le marche pied tout en poussant devant moi mon gros sac, car les chauffeurs de bus indiens ont une curieuse aversion pour le point mort et preferent ralentir plutot que s'arreter completement. Et la, enfin, le plus dur est fait... Je peux m'asseoir, et simplement attendre que le bus atteigne sa destination.

Mahabalipuram est le terminus. Il fait nuit noire et il n'y a plus que le controleur, la jeune femme en rose et moi dans le bus. Il est 22h30 et le village est presque desert. Je deniche une chambre a 150 roupies en suivant les indications du Lonely Planet, au Tina Blue View Hotel - j'ignore ou ils ont vu un "amical proprietaire" dans cet hotel, celui auquel j'ai affaire est carrement antipathique. Mais peu importe. Apres ce voyage, la seule chose qui m'importe, c'est une douche et un repas avant d'aller dormir. Le lendemain, je decouvre la plage de Mamalapuram (oui, parmi toutes les choses surprenantes en Inde, il y a les villes aux noms multiples). C'est le Tamil Nadu, region aux noms a rallonge dont la langue est toute en roulements de r et de l... La plage s'etale sous un grand soleil et un ciel noir, avec ses barques de peche et ses filets en tas verts ou bleus. Des restaurants aux noms tres "seventies" bordent la plage, le Santana Beach restaurant, le Luna Magica, le Yogi restaurant... Les touristes y prennent le petit dejeuner, pendant que des mendiants psalmodient leurs requetes et essayent d'attirer leur attention. Je trouve Karsten, le photographe allemand, a une terrasse. Il me dit qu'il a finalement realise, grace a la perte de son appareil photo, qu'il ne se voyait pas arreter son metier...

Mahabalipuram est celebre pour ses sculptures sur pierre. Plusieurs temples eparpilles autour de la petite ville permettent d'observer de fines et belles sculptures de l'architecture Palava, qui remontent au 7e et 8e siecles. Partout dans la ville, des ateliers exposent des statues de dieux hindous, pendant que les sculpteurs travaillent, dans la poussiere et le bruit des outils manuels et electriques. Un soir, je partage ma table a la terrasse d'un restaurant francais, avec Myriam, une francaise qui vient en Inde du sud pour la quatrieme fois, et un anglais, Simon, qui exporte dans son pays des bijoux, des souvenirs, et des sculptures. C'est un blond aux tempes blanches de 42 ans, qui est venu en Inde pour la premiere fois il y a vingt ans et qui depuis n'a pas passe plus de trois hivers en Angleterre. Les cheveux en bataille, la chemise blanche pas tres nette apres une journee a faire la tournee des differents ateliers ou il fait realiser des sculptures, Simon a quelque chose de Paul Bowles dans son attitude de voyageur aguerri, cultive et excentrique. Un nomade businessman. Cette annee il a fait de bonnes affaires et commence a vendre ses propres oeuvres, car il sculpte aussi. Il a loue un deux-pieces en haut d'une maison, et plaisante en disant que s'il n'a pas de maison quand il rentre en Angleterre, ici il a un penthouse face a la plage de Mamallapuram pour 35 euros par semaine.

Sur la plage, de tous petits crabes se cachent au fond de leur trou a l'ombre des barques. Le sable expose les rebus des hommes et de l'ocean : poissons morts, noix de coco encore dans leur gangue verte, gobelets de plastique, paquets de cigarettes. Des vaches fouillent les ordures, tres a l'aise. Les enfants aux cheveux en bataille, noirs et mats comme de la laine, le regard percant, jouent et quemandent du chocolat aux passants. Mamallapuram a ete touchee par le tsunami, et la plupart des barques de pecheurs portent des inscriprions comme "Caritas" ou "Catholic Church" qui rappellent le desastre. Au bord de l'eau, un garcon chasse les crabes au lance-pierre. Toute la journee, des vendeuses de pareos arpentent la plage, deployant leurs cotonnades dans le vent en essayant de convaincre les touristes qu'ils ont vraiment envie d'en acheter et qu'ils vont faire une affaire. Quand on depasse les barques de peche, la plage est plus propre, et l'on peut se baigner. La presence de nombreux touristes permet de se mettre en maillot de bain. Car si les Indiens se baignent en maillot, les Indiennes elles se contentent de marcher dans l'eau toute habillees. Prendre le soleil, allongee sur le sable, apres avoir nage dans les vagues de l'Ocean Indien... Ca fait un bien fou. Je me sens en vacances, heureuse d'etre la. En fin d'apres midi, dans une lumiere ambree, les pecherus assi dans le sable arrangent leurs filets. Les saris des femmes qui marchent dans l'eau se detachent sur l'ecume des vagues, en petites taches eclatantes. La lumiere est vraiment unique.

Ma chambre a Mamallapuram est la plus petite de celles que j'ai occupees jusqu'a present. A peine plus large que le lit, elle doit faire 2 m sur 3. Ses murs sont bleus, ecailles par l'humidite. Des geckos sont postes en sentinelle pres du plafond. Pendant la journee, les sons qui me parviennent du dehors sont des cris d'enfants et des voix d'adultes dans une langue incomprehensible. Des chiens qui aboient, des oiseaux... Je pourrais etre n'importe ou sous les tropiques. L'impression d'etrangete est la meme, la chaleur aussi. La nuit, avec le ventilateur qui tourne au-dessu de la moustiquaire, j'ecoute le crissement des criquets et les corbeaux qui croassent inlassablement . Le vent marin souleve le son des vagues jusqu'a ma fenetre. Cette chambre minuscule est comme un coquillage ou resonnent les rumeurs nocturnes. Une sorte de couvre feu regne sur le village touristique, et quand les restaurants ont eteint leurs lumieres et ferme leurs portes, que les etrangers sont rentres dans leurs hotels, les rues sont livrees aux mendiants qui dorment par terre et aux chiens errants. Des chiens jaunes peles a l'air torve, qui grognent, babines retrousses et echine dressee.

Mamallapuram, c'est une petite ville indienne jouxtee d'un village de pecheurs et de touristes. Une plage bordee de temples, des boutiques de vetements, de bijoux, et bien sur d'ateliers de sculpture. Il plane sur le tout une atmosphere detendue, aimable et comme hors du temps. On pourrait rester ici, se mettre a la sculpture, etre peu a peu recouvert de poussiere et tout delave par le soleil, comme les parasols de la plage, et voir les annees s'envoler sans un bruit. Ou bien, se faire des dreads locks et porter des cotonnades blanches, comme cet etrange occidental, bronze comme un bois patine, qui porte moustache et lunettes noires, et arpente la plage jour apres jour, drape dans son allure de yogi improbable.

13 janvier 2007

Raghurajpur - village d'artistes

IMGP6453Mon dernier jour a Puri... Je vais visiter le village de Raghajpur, a une dizaine de km de Puri. Deux rues paralleles, dont chaque maison arbore une facade peinte de motifs fins et precis. Les villageois fabriquent aussi de petits objets de papier mache aux couleurs vives. (voir l'album photo Raghurajpur) Les cases de terre battue qui bordent la route menant au village, les epiceries, les enfants qui jouent sous les palmiers, pourraient se trouver en Afrique... Meme materiaux, memes constructions, memes couleurs, memes vegetation, meme rythme de vie lent mais determine.

Apres ces deux dernieres promenades aux alentours de Puri, un long voyage vers le sud m'attend, en direction de Madras...

13 janvier 2007

Lac Chilika

IMGP6277A une quarantaine de km de Puri, s'etend le plus grand lac indien, le Chilika, qui couvre plus de 1000 km carres. Il s'ouvre sur la baie du Bengale, formant ainsi un immense lagon d'eau saumatre. J'y suis allee avec Samarendra, Rebecca, et leur ami Felix. Ce dernier, anthropologue et violoniste, ecrit un livre avec Samarendra sur la lutte des tribus de l'Orissa contre les projets miniers. Il se trouve aussi etre l'arriere arriere petit-fils de Charles Darwin... Le monde est decidement plein de surprises et de rencontres extraordinaires! Ils avaient loue une voiture avec chauffeur pour faire l'excursion et m'ont propose de les accompagner. Des que l'on quitte Puri le paysage devient verdoyant, seme de pieces d'eau ou fleurissent des lotus roses et des nenuphars blancs ou mauves pale. Des cocotiers s'inclinent au-dessus des marais, ou des herons blancs immobiles posent en sentinelles. Au fur et a mesure que nous nous enfoncons dans les terres, les oiseaux se font de plus en plus nombreux. Des martins pecheurs turquoise et bleu petrole sont perches sur les fils electriques, d'ou s'envolent de grosses perruches vertes et jaunes. L'air est d'une purete exceptionnelle. La lumiere transparente cisele les contours des silhouettes d'hommes et de femmes penches sur les rizieres inondees ou ils repiquent des pousses de riz. Le vert des rizieres est unique, eclatant, vif et frais comme s'il venait d'etre invente par un peintre audacieux.

Le lac Chilika est un paradis pour les ornithologues, car c'est un refuge pour les oiseaux migrateurs, venus d'aussi loin que la Siberie. Nous louons un bateau pour faire un tour sur le lac, jusqu'a l'ouverture sur l'Ocean. Des dauphins s'ebattent dans l'eau, a quelques metres de nous. Le spectacle est merveilleux. L'eau etincelante au soleil, le vent frais, le clapotis des vaguelettes sur la coque du bateau... Nous avons des yeux d'enfants emerveilles, conscients de vivre des moments privilegies. Des oiseaux survolent le lac, solitaires ou en groupes, au ras de l'eau ou haut dans le ciel.

IMGP6329Au bout de deux heures de navigation nous accostons sur une large langue de sable, ou quelques cafes etalent leurs chaises de plastique, incongrues comme le carton plante au milieu du sable qui porte l'inscription "urinoir - dames- 2 roupies" ! Des touristes indiens arpentent les lieux, boivent du the et de l'eau de coco, se prennent en photo sur fond de dunes. Les vagues de l'Ocean Indien agitent le lac, sur lequel nous repartons apres avoir bu un the. Felix sort son violon et joue quelques morceaux, pendant que le bateau derive mollement, moteur coupe. Samarendra et Rebecca, qui ne se sont pas vus depuis plusieurs mois, irradient de bonheur et d'amour. Leur ami, qui est timide, tourmente et sensible, est aussi intensement present. Je partage cette sphere d'amitie en ressentant une profonde gratitude pour la vie qui offre de tels souvenirs. IMGP6364

Pendant que nous regagnons l'embarcadere le soleil descend lentement vers l'horizon, se transforme en un globe orange et disparait d'un coup dans une brume mauve. La route du retour, de nuit, est etrange comme un film de David Lynch, avec des vaches blanches qui se materialisent dans le faisceau des phares, plantees ou allongees au milieu de l'asphalte, indifferentes aux chiens, aux humains, aux voitures.

7 janvier 2007

Paresse a Puri

IMGP6081Vous vous demandez peut etre si je ne me suis pas perdue a Puri, cette petite ville semee d’hotels et de cocotiers qui regarde l’Ocean Indien. Eh bien non! J’y ai juste fait une petite cure de paresse. Les guides de voyage ont raison a son propos: bien qu’elle possede un temple hindou d’une grande importance pour les pelerins, le charme de Puri consiste surtout a offrir aux voyageurs une retraite paisible ou se ressourcer avant de reprendre la route (ou plus probablement un train) en direction du sud, vers Madras, ou du nord, vers Calcutta ou Benares.

La periode des fetes attire a Puri une foule de vacanciers indiens, appartenant a la classe moyenne aisee et depensiere. La longue plage qui borde la ville est occupee d’un cote par des attractions de fete foraine maritime : maneges clignotants, marchands de glaces et de barbes a papa, photographes ambulants qui immortalisent des familles posant, l’air impassible, sur des chameaux harnaches et decores. Des hotels neufs, aux facades colorees et fleuries se dressent sur le front de mer ou deambulent les vacanciers venus de Calcutta.

IMGP6118A l’autre extremite de la plage, un village de pecheurs etale ses huttes, ses barques et ses filets sur le sable. Entre les deux, une rue parallele a la plage accueille les etrangers dans des hotels plus anciens. C’est dans cette rue, dont le nom a rallonge est familierement reduit a CT road, que j’ai trouve une chambre en arrivant, fourbue, apres 16h d’un eprouvant trajet en train. Le train que j’ai pris a Gaya arrivait de Delhi et mon compartiment etait bonde. Il m’a fallu deloger deux hommes qui dormaient tete beche sur ma couchette, et y caser mon sac a dos et mon deuxieme sac, par manque de place en bas. Mes deux premiers voyages en train, effectues avec les billets achetes a Delhi, n’etaient pas en 3e classe, contrairement a ce que je croyais, mais en 3e categorie de 1ere classe, avec air conditionne. Le prix des billets etait deux fois plus eleve qu’en classe couchette, ou il n’y a ni couvertures ni oreillers, et ou les couchettes sont nettement moins moelleuses. Mes deux derniers trajets en train m’ont donc permis d’apprecier encore plus, retrospectivement, les privileges de la classe AC (air conditionne).

IMGP6102En arrivant a la gare de Puri j’ai rencontre Julia, une anglaise, qui venait terminer a Puri un sejour de 5 mois en Inde. Elle avait reserve un lit dans le dortoir du Z hotel, une ancienne demeure de maharadjah aux murs blancs et boiseries vertes, pourvue de grandes verandas aerees et d’aires communes agreables. C’etait le 29 decembre et il semblait que tout le monde, Indiens et etrangers, avait choisi de passer le 1er de l’an a Puri. J’avais, apres 3 ou 4 appels telephoniques depuis Bodhgaya, reserve une chambre dans un autre hotel, non loin du Z hotel -malheureusement complet. Mais le prix de la chambre, 450 roupies, ne correspondait pas du tout a ce que le receptionniste m’avait laisse espere en me promettant une chambre pour une personne pas chere. Mon sac sur le dos, en sueur et couverte de poussiere, j’ai arpente la rue en me cassant le nez successivement dans tous les hotels, complets ou hors de prix, jusqu’a ce que la proprietaire du Kasi’s Castle me propose une chambre a 350 roupies, avec salle de bain exterieure. A ce stade, mon seul souhait etait de poser mes sacs et de prendre une douche, meme froide, avec un seau et un pot. Ce que j’ai fait, avant de defaire mon sac et de m’affaler sur mon lit a moustiquaire.

IMGP6066Le lendemain, je suis allee a mon premier cours de yoga avec Julia et une poignee d’autres etrangers, la plupart debutants, qui allaient vite devenir des visages familiers puis des amis de passage. Les cours de yoga ont lieu tous les apres midi a 16h, sur la terrasse du plus vieil hotel de CT road, le Bayview hotel. Un batiment de plain pied aux allures de fortin, flanque de deux tourelles, a la facade ocre ecaillee sur laquelle grimpe un bougainvillee aux fleurs corail. Les cours sont dispenses par un yogi d’une souplesse remarquable, a l’accent chantant. Les etirements et exercices respiratoires sont excellents, mais certaines postures sont vraiment difficiles a realiser et mettent en evidence la raideur desesperante de nos muscles. Plies en deux, nous essayons vainement de toucher le sol avec les coudes, et les genoux avec le front, tout en maintenant les jambes allongees au sol. Pendant que nous suons, suffoques par la tension dans les jambes et le dos, il chantonne „ So, now, trrry to concentrrrate on the parrrts of yourrr body that you exerrrcise, and deeply brrreath in, then deeply brrreath out“. Visage rouge, nous pouvons a peine laisser entrer un filet d’air dans nos poumons, mais il persiste „This is veeerrry easy. Don’t hold yourrr breath! You just brrreath norrrmally“. Le moment que je prefere, c’est, entre les exercices les plus penibles, quand il dit „ So, now, lay down and completely rrreeelax yourrr body“. Pendant le cours, le soleil descend lentement derriere la coupole blanche d’un temple proche, jusqu’a disparaitre a l’horizon. Le ciel prend des tons mauves, les corbeaux croassent, de la rue montent les sons habituels de la circulation, klaxons, sonnettes de velos, moteurs de voitures et de motos. Ces moments sur la terrasse au crepuscule ont un charme poignant. Du temple nous parvient une musique nasillarde et joyeuse. Un soir, apres le cours, notre professeur nous offre des fleurs et un gateau pour celebrer le nouvel an. L’un des eleves sort son violon et nous joue quelques ragas. La pleine lune argentee flotte au-dessus du toit dans un ciel transparent. Nous sirotons un chai, silencieux, souriants, absorbes par la plenitude du moment.

Ces cours de yoga quotidiens sont aussi appreciables pour leurs bienfaits physiques et psychiques que pour la routine reconfortante qu’ils creent. On voyage pour se confronter a l’inconnu, pour decouvrir des paysages, des gens, des situations, et on se rend compte que des que l’occasion se presente, on se plonge avec reconnaissance dans de petites habitudes qui offrent le sentiment de faire partie, temporairement, d’un univers etranger.

Apres un mois de voyage en Inde, je realise en arrivant a Puri que je ressens une profonde fatigue. Toutes ces sensations, ces etonnements, ces bouleversements permanents, m’ont videe de mon energie. Pendant plusieurs jours, je me satisfais pleinement de ne rien faire. J’aspire juste a me reposer, et me contente d’aller au cours de yoga, et de rendre visite aux hotes cosmopolites du Z hotel quand j’ai envie de compagnie. Mes deplacements se limitent a ces 300 m le long de Ct road, ou se trouve tout ce dont j’ai besoin, cyber cafes, petits restaurants (le restaurant Peace est mon favori) et epiceries ou acheter eau minerale et papier toilette. Pour la soiree du nouvel an, je me suis jointe a la soiree organisee au Z hotel – buffet varie et delicieux, punch a volonte, musique et feu de camp dans le jardin, autour duquel un bel echantillon de nationalites se trouve rassemble. Espagnoles, Italiens, Suedois, Anglais, Allemands, Norvegiens, Sloveniens...

une fois le 1er de l'an passe, la ville se vide rapidemment. Les conducteurs de cycle rickshaws font desormais le pied de grue aux portes des hotels. Le prix de ma chambre passe a 150 roupies, puis a 100. Le long de CT road, on croise les memes visages de touristes, assis dans l’un des 3 cyber cafes, ou a la terrasse de la boulangerie, ou sortant d’un bureau de change. Une atmosphere de village regne sur cette petite enclave touristique. CT road, ce sont aussi les jeunes femmes a velo vetues de couleurs acidulees, les vaches blanches a bosses, les jeunes play boy qui deambulent, les mains dans les poches, les familles entassees dans les risckshaws, les motos petaradantes, les vendeurs de fruits, les vieilles ambassadors blanches aux formes rebondies qui croisent les voitures Tata dernier cri, les chiens errants. Les proprietaires des boutiques et restaurants vous disent bonjour, les vendeurs de chai et de samosas vous connaissent. Ils arrosent la route tous les apres midi pour rabattre la poussiere momentanement.

IMGP6124Au bout de 3 jours de repos total, je rassemble l’energie necessaire pour me lever tot et aller faire des photos du village de pecheurs. Quelques jours plus tard, je pars en excursion avec Karsten, un photographe allemand. Nous louons une petite moto et allons voir le fameux Sun Temple, a Konark, a 40 km de Puri. Un temple dedie au dieu soleil, monumental et tres beau. Des banians sont plantes tout autour des jardins.

Karsten a 44 ans, il est photographe depuis 15 ans. Il a couvert une multitude de IMGP6150sujets dans le monde entier, des prostituees seropositives au Burkina Faso aux stars du cinema bollywoodien. Aujourd’hui il a de plus en plus de mal a supporter les aspects commerciaux de son metier. Avant de venir passer ces 3 semaines en Inde, ou il est deja venu 6 fois, il a envisage de changer d’activite. Le lendemain de la balade au Sun Temple, alors qu’il etait dans l’eau au bord de la plage et s’appretait a monter dans une barque pour faire des photos de la peche en mer, son appareil photo en bandouliere, un enfant s’est approche de lui, son appareil a glisse et au meme moment une vague l’a recouvert. Ce concours de circonstances, l’enfant, la vague, a suffit pour noyer le moteur de son Nikon D2X, une bete de course a 5000 €... il m’a dit qu’il ne pouvait s’empecher de voir un lien entre son desir de changer de travail et cet affreux incident.

Au cours de yoga, j’ai rencontre un couple passionnant. Rebecca, une illustratrice anglaise, et Saramendra, un Indien de l’Orissa implique dans des mouvements de protestation contre les projets d’exploitation miniere dans la region. Il a tourne un documentaire sur les villageois qui se sont rassembles en groupements d’activistes pour lutter contre les compagnies minieres en bloquant les routes. Les projets de production d’alumium de ces compagnies etrangeres auront pour consequence la destruction d’ecosystemes qui abritent une biodiversite endemique, dont dependent des millions d’habitants. Ces villageois, illetres dans leur grande majorite, ont une conscience remarquable de la richesse de leur environnement et de leur mode de vie traditionnel. Ils refusent d’etre deplaces, de perdre leurs terres et leurs moyens de subsistance au nom d’un developpement a court terme. Ils resistent, malgre les emprisonnements et les morts causees par la police. Les medias indiens presentent ces villageois comme des „naxalites“, des communistes extremistes et fanatiques, des terroristes, en somme, opposes au progres. Une facon de les tourner en derision, de leur denier le droit a la parole. Les activistes se sont adresses maintes fois aux politiciens, qui font la sourde oreille a leurs revendications. Dans les zones rurales industrialisees, ou les miniers interviennent deja, les rejets de dechets acides empoisonnent les lacs et les sources, les nappes phreatiques se tarissent. La pollution condamne aussi bien le betail que les plantes, et empeche les villageois de suivre le cycle de rotation de culture des terres. Le documentaire est intitule „Earth Worm“ (ver de terre) car c’est ainsi que ces villageois de l’Orissa se definissent. Ils vivent de la terre et la font vivre, comme des vers de terre. Leur combat, aussi inegal soit-il, est une belle lecon de resistance au pouvoir des mutinationales avides. Ils ont conscience de la valeur de leurs ressources naturelles, et ne sont pas dupes des promesses faites par les miniers (Grande Bretagne, USA, Canada et Japon). Cette lutte obstinee des villageois est touchante et admirable. Et Saramendra, comme je m’en rends compte au fur et a mesure des discussions que nous avons, est l’un des leaders des mouvements de contestation politique et environnementale, non seulement dans le region, mais dans son pays et au-dela des frontieres, car la projection de son film en Norvege a entraine le retrait d’une compagnie miniere norvegienne du projet minier en Orissa. Son souhait d’eveiller les consciences et de renforcer l’unite des mouvements alternatifs anti-mondialistes se realise pas a pas.

IMGP6096Cela fait plus d’une semaine que je suis a Puri, ou je me sens desormais presque comme chez moi! Le spectacle de CT road m’est devenu familier, mais il continue a me plaire, tellememt vivant, tellement changeant et identique a la fois. Et puis je suis allee dans le reste de la ville aussi... Et je me suis rempli les yeux des couleurs du soleil couchant sur la plage, des femmes en saris sur fond de vague, des palmiers agitant leurs palmes poussiereuses dans la brise marine.

J’ai bien recharge mes batteries, et je me sens prete a repartir. Je prends le train mardi pour Madras, d’ou je compte aller a Mamalipuram, puis a Pondichery.

ps : J'ai rajoute des photos dans le message sur Bodhgaya.

30 décembre 2006

Bonne annee a vous tous

Depuis le debut de ce voyage et depuis que je poste des messages sur ce blog, de divers petits cyber cafes indiens, vos commentaires me font toujours chaud au coeur. A chaque fois que je vous lis, proches et amis, vous ne pouvez pas savoir a quel point vos mots me donnent envie de continuer a partager mes decouvertes et impressions. Je vous adresse a tous un enorme MERCI pour vos commentaires toujours si enthousiates (je soupconne que votre affection pour moi influence votre jugement!). Ce n'est pas evident de voyager et decrire au fur et a mesure tout ce que l'on voit et ressens, il faut bien effectuer un tri, mais le fait d'ecrire pour etre lue est un formidable moteur. Et puis quand je me sens seule loin de tout et de tous, vous savoir attentifs et interesses par ce voyage me reconforte.

L'annee se termine, et c'est le moment de vous dire que je vous souhaite de passer d'excellentes fetes, de profiter de ces moments pour etre avec ceux que vous aimez, et de conclure 2006 dignement! Je pense a vous tres fort. Et que 2007 vous apporte une abondante recolte de bonheur, de joies, de realisations... Et surtout la paix interieure, si precieuse... Merci encore a vous tous. J'ai de la chance de vous avoir autour de moi! Plein de bisous portes par la brise marine d'une petite ville envahie de vacanciers indiens et etrangers, Puri, ou je vais me reposer un peu et feter le nouvel an, avant de repartir vers le sud.

28 décembre 2006

Noel a Bodhgaya

IMGP5899Je suis arrivée à Bodhgaya le jour de Noel. Cette petite ville qui se developpe à toute vitesse est le plus haut lieu saint des boudhistes. C'est ici, il y a environ 2500 ans, que le prince Siddharta, après des annees de jeune, s'est assis sous un arbre pour méditer et qu'il a recu son illumination, devenant ainsi Boudha. Le descendant du ficus originel, le Bodhi Tree, étend ses branches au centre d'un grand jardin qui entoure le Temple Mahadevi. Il règne une paix extraordinaire sous cet arbre, et s'il n'y avait une telle foule de pelerins, l'on pourrait y passer des heures à simplement se sentir exister, sans plus penser a rien. Je n'ai jamais ressenti une telle sérénite émaner d'un arbre. L'atmosphère est manifestement imprégnée des prières et dévotions qui sont réalisées ici depuis des siècles. Hindous et boudhistes se cotoient paisiblement autour du temple, et quand résonne l'appel à la priere du muezzin de la mosquée voisine, une impression irréelle s'empare de moi : serait-ce un fragment du paradis? Un lieu où les religions coexistent avec tolérance et harmonie, voila qui me laisse rêveuse... Si c'est possible ici, pourquoi pas ailleurs?

IMGP5924Chaque annee se tient à Bodhgaya un rassemblement international de boudhistes, le grand Meunlam. La presence du Karmapa, le deuxieme Lama après le Dalai Lama, attire les boudhistes comme des mouches! Environ 5000 moines et nonnes, et jusqu'à 10 000 pélerins viennent y suivre les enseignements boudhistes dispensés dans les monastères. De nombreux boudhistes de Hong-Kong, Taiwan et autres satellites de la Chine viennent à Bodhgaya. Pour certains d'entre eux, ce pelerinage est une forme de manifestation politique de leur soutien au peuple tibetain, en exil depuis la prise de pouvoir du géant communiste au Tibet. La majorité des tibétains IMGP6036refugiés se trouvent en Inde. Les temples surgissent du sol comme des champignons à Bodhgaya, financés par le Japon, la Thailande, la Birmanie et bien d'autres pays. A la gare de Benares, j'ai rencontré deux Taiwanaises, effrayées et degoutées par l'Inde (sale, pleine de mendiants et où tout est d'une lenteur remarquable!). Mais elles étaient toutes excitées par l'idee de voir le Karmapa, et sortaient des photos de Lamas de toutes les poches de leurs sacs aux couleurs fluos. On aurait dit des groupies se préparant à assister au concert de leur groupe de rock favori. Les pèlerins de Bodghaya sont aussi bien des asiatiques ou des occidentaux que des familles indiennes -pour qui le sens du sacré n'exige pas de solennite particulière, ils font le tour du temple Mahadevi en bavardant, comme s'ils se promenaient dans la rue. Je reste une fois de plus perplexe devant le zèle avec lequel les occidentaux se parent des couleurs des boudhistes, et empruntent tous les attributs exterieurs d'une philosophie qui prône le salut individuel et non le suivi aveugle d'une communauté... Tapis de priere sous le bras, chapelets à la main ou enroulé au poignet, ils répètent les prières tibétaines, se prosternent, font le tour du temple (21, 56 ou 108 fois, si ma mémoire est bonne) l'air concentré, mais quand on les croise dans la rue, ils ont le visage fermé, excluant tout contact avec le monde qui les entoure. Les asiatiques eux font tout au pas de charge, vite, vite, le visage souvent couvert d'un masque destiné a les proteger des miasmes de l'Inde. On dirait les figurants d'un film catastrophe, terrifiés par la poussière et les microbes, égarés aux abords d'un temple qui célèbre un être libéré de toutes ses peurs! Enfin, je ne suis pas boudhiste, peut-etre que ce ne sont la que des contradictions apparentes.

IMGP5932Bodhgaya est une manne pour l'état du Bihar, pauvre, aride et rural. Ce qui explique que les mendiants et marchands abondent et se pressent autour des temples et des cafés où les touristes mangent en essayant d'ignorer la présence des enfants ou des vieillards qui tendent la main et supplient à deux pas. La cacophonie des klaxons, la poussière, et ces sollicitations permanentes finissent par me vider de mon energie. Dans l'après-midi, tout le monde, Indiens et étrangers, arbore un visage epuisé, et à 16h j'ai l'impression que la journée a déjà beaucoup trop duré.

IMGP5957J'ai eu de la chance en arrivant, j'ai trouve une chambre dans un village un peu en dehors de Bodhgaya, grace a un ami du proprietaire. Une chambre propre, avec un lit, une table couverte d'une nappe fuschia brillante, une vitrine qui abrite plusieurs statues de divinites hindoues, et deux affiches encadrees, accrochees pres du plafond, representant une danseuse a la David Hamilton et Shiva. Une petite fenetre s'ouvre au-dessus du lit et surplombe, comme je le decouvre le lendemain, un terrain vague envahi d'ordures. Bobi Debi, ma logeuse, s'occupe de ses 4 enfants et des 2 enfants de sa soeur decedee. La maison est calme et le mari, qui possede un restaurant a Bodhgaya, n'est jamais la quand je me leve ni quand je rentre en fin d'apres midi. La seule fois ou je l'entends, ce sont ses cris qui rompent la quietude habituelle. Le lendemain de mon arrivee, je fais de la lessive et etends mon linge sur la terrasse, sur des claies de bois qui se croisent sur l'ouverture de la cour interieure. Bobi Debi et les enfants m'observent attentivement. Ils ont deux petits lapins noirs et blancs a qui ils donnent de la paille. J'ai demande s'ils les gardaient comme animaux de compagnie ou pour les manger, et ils m'ont repondu, l'air un peu choque, que c'etaient des animaux de compagnie! Quelle question, on nest pas en Afrique, ou tout ce qui ne parle pas se mange, mais en Inde, ou la plupart des gens sont vegetariens... Un soir je vais chercher des samosas dans une rue proche et la famille qui tient une echppe juste en face de la charette du marchand de samosas m'invite a m'asseoir a l'interieur, pour echapper a la foule compacte de gamins qui m'entourent. Il y a 3 soeurs, qui ont 12, 15 et 19 ans, deux freres, dont l'un est marie, et leur mere, une femme de 35 ans aussi souriante que ses filles. Elle n'a que 3 ans de plus que moi, et tous ces enfants et petits-enfants sont a elle! Les deux filles ainees ont chacune un bebe au sein, le frere a deux enfants... En tout, il y a 10 enfants dans la maison, et au moins 6 adultes. C'est une maison modeste, au sol de terre battue, dont la premiere piece sert d'epicerie. Le rez de chaussee consiste en une petite cour centrale ou l'on fait la cuisine sur un brasero, autour de laquelle s'ouvrent plusieurs petites chambres et greniers. Un escalier mene a la terrasse, ou se trouve la chambre du frere aine, de sa femme et du frere de celle-ci. Ils sont manifestement pauvres mais d'une hospitalite incroyable. Ils me font visiter la maison, m'offent les samosas que je mange, m'offrent un the... Le frere aine (dont j'ai oublie le nom) me montre son album photo. Il designe fierement sa femme en disant "my woman" et me montre sur son avant bras un tatouage portant son nom :Sunita. Si ce n'est pas de l'amour, ca y ressemble bigrement. Leur chambre comporte un grand lite, un autre plus petit face a la porte, une TV devant le lit, et une installation electrique chaotique, avec des prises de guingois dont sortent des fils qui partent dans tous les sens. Leur adorable bebe a un visage rond comme un soleil, et il me fait des sourires a faire fondre. Ils m'invitent a venir manger le lendemain, et j'accepte, un peu genee de leur hospitalite debordante mais ravie de l'occasion.

Le lendemain, le frere n'est pas la, apparemment il a du partir a Bodhgaya car il y a eu un deces dans la famille. Ses soeurs et sa mere m'offrent des chapatis (galettes de pain) fourres de pommes de terre tout juste cuits, un oeuf dur, des samosas, que je mange sous le regard brillant des enfants. Les soeurs chantent des chansons en anglais et hindi, je leur chante un bout de chanson en francais. Je mange par politesse car en fait quelque chose me disait de ne pas trop compter sur le poulet frit dont il etait question la veille et j'ai deja mange en ville. La belle-soeur veut aussi me faire manger dans sa chambre sur la terrasse, et je me sens un peu comme un trophee, faisant les frais des rivalites qui regnent certainement dans cette maisonnee de femmes. J'ai apporte une boite de lait en poudre pour bebe car la veille, le frere m'a montre deux boites vides qui tronaient dans sa chambre en faisant remarquer que ca coutait cher, et j'en ai deduit que sa femme n'avait peut-etre pas de lait. Mais en repartant, apres une heure et demie pendant laquelle j'etais enchantee d'avoir un apercu de la vie d'une famille, alors que je me fais raccompagner par les deux soeurs ainees, l'une d'elle me demande d'un ton plaintif si je ne peux pas lui apporter aussi du lait pour bebe, car son enfant est ne d'une cesarienne et qu'elle a eu de gros problemes de sante. Elle n'a que 15 ans, et elle est mariee depuis 3 ans! Elle me demande pourquoi j'ai donne du lait a sa belle-soeur, qui n'en a pas besoin (effectivement, je l'ai vue allaiter)... Heu.... Eh bien, je croyais avoir compris que... Mais quand je suggere que la belle-soeur lui donne la boite, la petite fait semblant de ne pas comprendre. Bref, je me sens soulagee de rentrer dans ma chambre ou personne ne me derange. Ces jeunes femmes indiennes sont adorables, douces, ravissantes, enjoleuses. Elles m'ont offert des boucles d'oreilles dorees, voulaient me faire essayer un sari... Un peu comme on joue avec une poupee exotique. Seulement il est clair que nous n'avons rien en commun, a part un peu d'anglais, et les rapports sont forcement fausses. Je n'ai pas les moyens d'aider tous ceux qui me le demandent du matin au soir, et quand une famille comme celle-ci se met en quatre pour m'offrir a manger, evidemment j'ai envie de faire un geste, mais cette histoire de lait en poudre a un petit cote deja vu, en Guinee par exemple, ou il est courant de se faire demander du lait en poudre, qui se revend facilement avec un bon profit. Bref, cette experience instructive a un petit cote doux amer. Je me sens vraiment l'occidentale de service. Mais bon, apres tout c'est ce que je suis!
IMGP5927Deux jours plus tot j'ai aussi ete visiter une ecole qui offre des cours gratuits aux enfants defavorises. Le Bihar est un etat ou le taux d'analphabetisme est eleve, comme le nombre d'enfants par foyer. Cette ecole tout juste construite donne des cours a plus de 100 eleves qui ont entre 6 et 14 ans, et heberge une dizaine d'orphelins. Trois salles de classe, une cuisine, des toilettes et salle de bain propre, un dortoir et le bureau du directeur, ou il m'explique que l'ecole fonctionne grace aux donations que recueille l'ONG fondatrice du projet educatif "Siddharta". Je m'etais promis de ne rien donner, mais evidemment je ne pouvais pas repartir sans faire un geste (un petit don de 5 euros) en echange duquel je recois un recu tres officiel. Voila resumme mon sejour a Bodhgaya, j'ajouterai des photos quand je serai dans un cyber qui le permet.

J'oubliais de dire quie j'ai passe ma soiree de Noel avec une Sud-africaine de 53 ans passionnante, avec qui j'ai mange un sandwich et bu une biere bienvenue en refaisant le monde sans voir le temps passer. Nous avons trinque a Noel, ravie de notre rencontre et de ne pas passer la soiree seules. Je rentrais au village, morose et solitaire, quand je l'ai vue assise a une table, fumant une cigarette, et ca m'a donne envie de m'asseoir en face d'elle, pour echapper a cette ambiance de devotion et de sobriete un peu excessive a mon gout. Depuis mon arrivee en Inde, j'ai toujours suivi mon intuition et je dois dire que jusqu'a present il ne m'est jamais rien arrive de facheux (a part les petites mesaventures que vous savez). Cela fait partie des choses qui sont si gratifiantes quand on voyage seule, se dire que l'on peut faire confiance a sa petite voix interieure, et apprendre a l'ecouter...

Je pars tout a l'heure pour Gaya, d'ou je prends un train pour Puri, sur la cote est, vers le sud...

25 décembre 2006

Vertigineuse Varanasi

Benares (ou Banaras, ou Varanasi...) est la cite de tous les vertiges : spirituel, esthetique, sensoriel... vous y etes pose en equilibre precaire au bord du neant. Cette ville brasse des energies occultes, ou alternent ombre et lumiere. L'atmosphere est si chargee, si dense, les sollicitations des sens sont si puissantes que l'on eprouve un vertige persistant a parcourir les ghats baignes de soleil. Ils s'ouvrent sur le vide de l'eau jointe au ciel, a peine separes par une etroite bande de sable aplanie sur l'horizon par la brume soyeuse qui nimbe la ville en hiver. La luminosite qui regne a Benares rappelle celle de Venise. Pour les hindous, la rive habitee est symbole de vie tandis que la rive opposee, presque deserte, est associee a la mort. Juste derriere les ghats, s'enroulent et se deroulent les meandres des ruelles grouillantes de vie. Labyrinthe sombre et tortueux ou l'on ne peut que s'egarer, les sens etourdits, les pieds dans les bouses de vaches et le regard absorbe par les scenes quotidiennes entrapercues. Epicieries minuscules et surchargees, echoppes ou des patisseries sirupeuses attirent les mouches, articles religieux debordants des etalages, tailleurs penches sur leur ouvrage dans d'etroites et sombres boutiques, boucherie dans une arriere cour, charettes proposant navets et aubergines, motos, "internet cafes"...

L'air est sature d'odeurs, encens, egouts, excrements, parfums, curries, bidies (ces petites cigarettes sans tabac enroulees dans une feuille d'eucalyptus)... Et les animaux sont omnipresents a Benares. Vaches, buffles (sacres, certes, mais cela ne les empeche pas de recevoir quelques coups de batons a l'occasion), oiseaux... Il y a des ecureuils sur les murs, des singes a l'affut, des chevres sur les terrasses, des lezards dans les maisons. Et des chiens qui dorment, entremeles, n'importe ou. Parfois ils sont morts. Benares est horriblement belle. Des femmes en saris brodes d'argent frolent des immondices, et des hommes vetus de blanc font du velo dans les ruelles boueuses. Au marche, il y a des lepreux qui mendient, des voitures couvertes de fleurs (ces fameux oeillets d'Inde qui composent les colliers d'offrandes accroches un peu partout), des touristes japonaises, des fideles qui font des offrandes aux temples, une foule heteroclyte en mouvement permanent. Les etals proposent plein de legumes familiers (carottes, pommes de terre, poivrons et piments, tomates, concombres, oignons, aubergines, choux...) et des fruits plus exotiques, grenades, goyaves, anones, ananas, oranges, bananes, pommes, raisin... 

Chaque soir, sur differents ghats, se deroulent des ceremonies dediees au Gange et a Shiva. Les pretres sont debout, tres droits, face au fleuve, devant de petits autels ou brule de l'encens pres d'un coquillage et de coupelles de fleurs. Ils saluent l'oscurite en balancant a bout de bras des pyramides de flammes qui se desintegrent au fur et a mesure. La silhouette du pretre se decoupe sur les volutes de fumee dense, profil noir cisele sur fond blanc. Les cloches rythment ces rituels ou l'eau et le feu dansent un hymne exuberant aux deites du lieu. Des bougies nichees dans coupelles fleuries offertes au fleuve derivent sur l'onde noire. Elles dessinent des motifs ephemeres et changeants, cercles, rubans, constellations...

On ne peut percevoir qu'une infime partie de ce qui fait la vie des habitants de cette cite, mais c'est deja d'une insondable etrangete. Ganesha, le dieu a tete d'elephant, Hanuman, celui a tete de singe, et bien sur Shiva sont presents partout dans la ville, dans des temples plus ou moins grands, chez les gens et dans la rue. Varanasi, ville sacree des hindous qui esperent y finir leurs jours afin d'y etre incineres et d'echapper au cycle des reincarnations, est une porte ouverte entre ce monde-ci et l'au-dela. Elle vous tord, vous essore, vous retourne comme un gant. On se sent envahi d'une fatigue demesuree a parcourir les ruelles de la vieille ville, et meme la ville nouvelle ou la circulation est infernale. Je suis restee un peu trop longtemps a Benares, je voulais partir jeudi, une semaine apres mon arrivee, mais le train que je devais prendre m'aurait fait arriver au milieu de la nuit a Gaya, la ville la plus proche de Bodhgaya, et j'ai change mon billet de train. Comme il n'y avait pas de place le vendredi matin, je suis finalement partie le samedi. Et ces deux jours supplementaires, je me suis sentie comme accablee par l'atmosphere de la ville. Toute envie de faire des photos m'avait abandonnee, et je me suis levee tard,  j'ai pris le soleil sur la terrasse, j'ai fait de longues sieste. L'hotel ou je logeais, Rahul Guest House, heberge surtout des visiteurs qui sejournent plusieurs semaines ou mois sur place. Mon voisin jouait des tablas pendant des heures, et au rez de chaussee une Japonaise jouait de la flute tout aussi inlassablement. Au deuxieme etage, donnant sur la terrasse, logeait Marliz, une espagnole toujours entouree d'enfants et Anna, une allemande qui suit l'enseignement de sa guruji (le -ji est signe de respect). L'apres midi, les hotes de Rahul Guest House etaient si silencieux que je crois que tout le monde faisait la sieste. Les seuls bruits provenaient de la rue. Ma chambre resonnait de tous les sons environnants : sonnettes de velos, cris des marchands ambulants, trilles d'oiseaux, vaisselle lavee a grands bruits, coups de marteau, aboiements de chiens. La famille qui s'occupait de l'hotel etait composee d'hommes d'ages varies, tres gentils, mais tous tres lents, dans leurs gestes comme dans leurs paroles. Les derniers jours, j'avais acquis le meme rythme qu'eux! Il me semble que la lumiere particuliere, la brume, la presence du fleuve large et lent concourrent a creer cette etrange langueur qui plane sur les habitants. Dans la rue qui longeait l'arriere de l'hotel, juste derriere le Gange, un vieillard s'asseyait tous les jours au meme endroit, adosse au mur sous sa fenetre. D'une immobilite minerale, il semblait faire partie d'une gravure ancienne, patinee par le temps. Je suis partie de Benares la memoire pleine de couleurs, d'impressions, de sensations. Et soulagee de reprendre le cours de mon voyage, avant d'avoir ete completement happee par la torpeur ambiante.

19 décembre 2006

Varanasi, cite du Gange, de Shiva et de la soie

IMGP5688Vendredi, mon deuxieme jour a Varanasi, je me rends sur les ghats. Ma premiere promenade matinale le long de ces marches mythiques... Temples rutilants au soleil. Bains rituels dans l’eau trouble du Gange. Linge etendu a secher sur la terre sableuse. Parties de cricket. Chaque ghat est different.

J’arrive a l’un des ghats de cremation. D’enormes tas de bois empiles contre les murs face au Gange donnent aux lieux un air funebre. Le ghat est sombre, noirci par la suie. Des buchers brulent au pied d’une petite terrasse d’ou les enfants lancent des cerfs volants. La vie et la mort, intensement presentes au meme endroit. L’atmosphere de ce ghat est pesante. L’air semble y avoir une densite superieure a la normale. Impossible de rester indifferent. Mais je ne m’approche pas pour regarder, je me contente de passer, et les sensations que je ressents sont deja bien assez fortes !

Le petit guide du premier soir, celui qui m’a conduite a la guest house, me fait parcourir des ruelles ou de sombres ateliers abritent les metiers a tisser et a broder d’ou sortent de magnifiques saris en soie, dont certains iront rejoindre les ateliers de prestigieuse maisons de couture de Paris, Madrid ou Milan. Des hommes habiles et concentres brodent a la main des bordures extremement fines sur des metrages de soie. Fleurs ornees de paillettes, de pierres, de fils d’or ou d’argent...

Nous revenons vers les ghats. Un antique fort en pierre rouge, construit par un maharadjah, surplombe les escaliers de ses tourelles. Nous y entrons en sautant par une fenetre, sur l’invitation du vieux gardien qui a perdu la cle de la porte. Le vieil homme, son turban blanc et son baton se detachent sur les colonnades rouges comme une scene surgie de l’eternite. Un chien blanc se faufile a sa suite. Le soleil colore les pierres de vermillon. De grosses perruches jaunes et vertes a longue queue volent autour de l’arbre qui a pris racine dans l’une des tourelles.

IMGP5759En ressortant du fort, mon guide rebrousse chemin et je poursuis ma deambulation. Un deuxieme guide vient m’aborder. De fait, les guides de voyage deconseillent fortement de suivre ces guides improvises, qui vous emmenent toujours dans un magasin ou ils touchent une commission. Mais je commence a trouver que les conseils de mon Lonely Planet semblent destines a des touristes paranoiaques, soucieux de voyager sans jamais se frotter a la population. Le premier soir, c’est un petit guide qui m’a conduite a Rahul’s Guest House, ou je me trouve fort bien, et il n’a pas demande un centime. C’est aussi grace a lui que je suis entree ce matin dans le vieux fort...

Je veux visiter des fabriques de soie, et il semble evident que ce sera beaucoup plus facile avec l’aide de ce jeune homme que seule, dans le labyrinthe de ruelles du quartier musulman, qui regroupe la plupart des ateliers de saris en soie. C’est un jeune brahman de 22 ans, vetu d’une chemise fushia a fleurs bleues, et d’un jean moulant. Il a les dents noircies par l’usage du tabac a chiquer, aromatise, que les gens ici apprecient – ils le machent longuement avant de le recracher. Ils vous parlent parfois la bouche pleine de tabac, ce qui rend leur anglais encore plus difficile a comprendre. Ce nouveau guide s’appelle Krishna et son pere a un magasin de soie sur Mansarover ghat. Il m’emmene voir l’un de ses amis, un riche proprietaire de fabriques de soie.

IMGP5656Apres de multiples tours et detours dans les ruelles du quartier musulman, nous arrivons devant une vieille porte en bois sculpte, juste a cote d’une mosquee. C’est l’heure de la priere du vendredi. Environ 2000 fideles, me dit notre hote, prient sur deux niveaux, les hommes dans la cour, les femmes a l’etage. Lui-meme est assis avec l’un de ses amis dans une vaste piece ou de grands matelas plats recouvrent une partie du sol. Il a le visage d’une paleur un peu cireuse, et sans etre gros, il semble gras, comme s’il sortait rarement de l’ombre de sa demeure. Des piles de soiries s’entassent le long des murs. Par une fenetre dont il entrebaille le volet, j’entrevois une maree de silhouettes agenouillees vetues et coiffees de blanc. Dans la cour, le silence entre deux incantations de l’immam est total. La famille d’Ahmad, le proprietaire des lieux, detient cette entreprise qui produit et exporte de la soie depuis plusieurs generations. Ses 3 freres et 4 soeurs travaillent avec lui, et plus tard son fils, un petit bonhomme d’un an aux grands yeux et grandes oreilles, lui succedera. Il fait apporter du the, des samossas et des patisseries et deploie sur les matelas une profusion de saris sublimes, en soie arachneene, peints et brodes a la main. La realisation d’un sari brode (une longue bande de tissu de 5 a 6 metres sur environ 1,5m de large), requiert le travail de trois ouvriers, 12h par jour pendant 2 a 3 semaines. Realisees en nombre limite d’apres les motifs crees par l’un des freres d’Ahmad, certaines pieces, comme de larges echarpes de soie bleue brodees d’elephant en fils dores, ont exiges le travail de 3 artisans pendant 40 jour et peuvent couter pres de 100 euros. Les ateliers de la famille d’Ahmad emploient 3000 ouvriers et exportent chaque annee des milliers de saris et echarpes de soie.

IMGP5584Le flot de soieries aux reflets changeant qui recouvre peu a peu les matelas offre un spectacle enchanteur. Une penombre un peu poussiereuse regne dans la piece aux murs d’un blanc use, et ces decennies consacrees a la soie font flotter dans l’air une atmosphere de luxe antique soigneusement preserve. Ahmad, qui fait preuve d’une hospitalite tres orientale, et tient fierement son fils sur ses genoux, m’invite a venir diner ce soir avec sa famille. Il le fait probablement en pensant que je vais refuser l’invitation. Mais j’accepte. Revenir le soir-meme implique de refaire appel a la compagnie de Krishna, qui bien qu’il soit etudiant en sanskrit, se preoccupe surtout de boire et fumer avec ses copains, d’apres son propre aveu. Mais l’occasion est trop interessante pour la laisser passer.

Nous sortons de la piece avec Sanjay, l’autre ami d’Ahmad qui etait dans la piece et s’avere etre le cousin de Krishna. Ils a rencontre Ahmad il y a longtemps en jouant au cricket. Les deux jeunes me font visiter leur propre magasin, le Ganga Silk Emporium, qui se trouve sur le chemin du retour. C’est une piece tout en longueur, aux murs jaunes citrons, dont le sol est couvert de matelas d’un mur a l’autre. Une fenetre s’ouvre sur le Gange, une autre sur l’escalier du ghat. A travers les bareaux on voit les bateaux passer, entoures de nuees d’oiseaux. Aux murs sont accroches des echarpes, tuniques, pantalons en soie. Nouveau deploiement de soireies. La piece est baignee de soleil, qui eclaire les tissus en y projetant l’ombre des bareaux. On se croirait dans une cage a oiseaux, suspendue au-dessus du fleuve. J’achete plusieurs echarpes en soie, probablement un peu trop cher, mais cela me semble valoir la visite de l’apres midi.

Pique-nique chez un empereur de la soie

IMGP5718Je rentre a l’hotel, prend une douche, fais un peu de lessive et retourne vers la vieille ville. Je longe a nouveau les ghats, maintenant plonges dans l’obscurite. Arrivee au magasin vers 18h, j’attends un bon moment que Sanjay et Krishna fassent leur apparition. Nous retournons chez Ahmad. Sanjay a apporte des patisseries et Krishna des chocolats pour le petit Malik, le fils d’Ahmad. Varanasi est celebre pour le Gange, les ghats de cremation, les temples, la soie, les patisseries et les ruelles, enumere Krishna. Il emploie souvent des formules en forme de jeux de mots, comme « no hurry, no worry/ no chicken, no curry » ou « what to do in Katmadou ? ». J’ai a nouveau droit a un deploiement de saris, dont certains, aux couleurs douces, ont 300 ans, et sont ornes de broderies d’or extraordinairement fines. Puis les saris sont ranges, et le diner semble imminent. La maitresse de maison ne magera pas avec nous –comment ai-je pu imaginer qu’elle le ferait, les traditions musulmanes ne permettent pas ce genre de compromission. Elle a prepare le repas, quelque part dans les profondeurs obscures de la maison, mais je ne la verrai pas.

Ahmad etend sur les matelas une nappe a fleurs en plastique transparent et distribue les assiettes en plastique creme ornees de coquelicots. Un jeune garcon apporte une assiette d’oignons rouges en lamelles, et une autre de tomates accompagnees de quartiers de citron. La scene est assez surrealiste. Ce pique-nique avec un musulman de Benares et ses deux accolytes hindous, entoures de saris somptueux, au coeur du labyrinthe de cette cite millenaire... Un saladier en plastique vient completer le service. Il est rempli d’un riz biriani au poulet. J’ai l’honneur de me servir la premiere. Le riz est parfume, epice, et assez piquant pour mon palais, mais pour mes compagnons, il est « not hot at all », evidemment. Il a probablement ete prepare fade expres pour moi. Les trois hommes mangent sans parler, chacun occupe a decortiquer son poulet. La familiarite qui regne entre eux me met assez a l’aise pour manger avec un appetit non dissimule. La fin du repas est saluee avec force rots sonores par notre hote. En guise de dessert, apres les patisseries, qui se revelent aussi spongieuses et imbibees de sucre que celles de l’apres midi, Ahmad deploie devant moi un sari et les echarpes brodees d’elephants. Cette fois-ci, son intention est de vendre. Mais la methode employee est particulierement habile, raffinee, et confondante. Il me dit, en montrant sari et echarpe : « C’est pour vous. Vous pouvez prendre ces deux pieces. Ils sont a vous. L’argent n’est pas important. » Je ne sais pas comment interpreter ses paroles. S’agit-il d’un cadeau ? Cela me semble tout a fait improbable. Mais il insiste : «Guests are god. Money is not important. You take them!” Je suis vraiment genee et perplexe. En quel honneur me ferait-il cadeau de ces soieries luxueuses? Je repete que je n’ai pas les moyens d’acheter de telles pieces, dont je sais qu’elles ont une grande valeur, et que je regrette, mais ne peux pas accepter. « Donnez ce que vous voulez, ce sera parfait ! » repond-il alors, apres avoir deja emballe l’echarpe dans un sac en plastique et l’avoir poussee vers moi. Le tout est fait avec une telle onctuosite, des formes si sinueuses, que l’on se sent vraiment accule et je pense que si j’en avais eu les moyens, j’aurais a ce moment-a achete l’echarpe, pour un prix eleve, car cette facon de dire au client « donnez ce que vous voulez » apres lui avoir dit le prix de l’article, vous met pratiquement dans l’obligation de payer le prix fort, puisque vous ne pouvez pas marchander ! Qu’est-ce que j’imaginais ? Je me trouve dans le salon d’un gros commercant de soie de Benares, dans un quartier de marchands qui pratiquent des techniques de vente aussi anciennes qu’elaborees. Ce repas n’avait pas pour but de me faire gouter la cuisine de la femme fantome mais de me faire acheter des pieces tres cheres... Je reitere mes excuses, et comme il s’avere que le repas, la soiree et la vente avortee ont assez dure, je prends conge et repars avec Krishna et Sanjay. Il n’est que 20h30 mais j’ai l’impression qu’il est deja tres tard. La vieille ville prend un tout autre visage de nuit. Les boutiques sont illuminees et les facades sombres, decaties s’effacent. Bien qu’elles aient l’air aussi vieilles que l’humanite, les maisons de Benares sont rarement vieilles de plus de deux siecles. Mais elles sont si etroitement accolees, et construites de guingois, avec des couleurs usees, et elles sont impregnees de tant de vies, qu’elles ont l’air d’appartenir a un autre espace-temps.

En retournant vers les ghats, nous passons devant un temple dedie a Kali, une deesse tantrique sombre qui attise des forces mouvementees, tout en apportant lumiere et clairvoyance. La metaphysique hindoue est toute en apparents paradoxes, mariant les contraires et associant des caracteres opposes dans des dieux aux formes multiples. J’ai achete un livre sur les dieux et deesse hindous, et un autre sur Shiva, le plus puissant des dieux hindous, et celui auquel Varanasi est consacree. Cette ville est l’endroit ideal pour acquerir quelques bases en religion hindoue. Dans le temple de Kali, ou nous penetrons apres avoir enleve nos chaussures, une ceremonie bat son plein. Dans l’entree, ou se tiennent une vingtaine de fideles, un homme frappe deux tambours, et un homme et une femme font tinter de grosses cloches de bronze. Devant eux, des grilles peintes en rouge s’ouvrent sur un petit espace ou un homme et une femme se faisant face tapent a tour de bras sur des cercles de metal. Une autre femme tape sur une cloche suspendue au-dessus d’une porte rouge entrouverte, derriere laquelle une silhouette agite en rythme une touffe blanche qui ressemble a une queue de boeuf. Le rythme est basique mais frenetique, le son assourdissant. Pres des tambours, un fidele danse, extatique. J’ai la sensation que les cloches et les tambours resonnent dans tout mon corps et entrainent les battements de mon coeur a suivre leur rythme. La couleur rouge, les percussions, produisent un effet tres primitif et tres efficace. Comme toutes les experiences qu’offre cette ville, cette incursion dans une ceremonie dediee a Kali est bouleversante. Cela remue tous les sens.

Le retour a Raul’s Guest House, en rickshaw, accompagnee de Krishna, se revele penible mais amusant. Ce petit freluquet de 22 ans deploie des techniques de flirt qui me feraient franchement rire si je n’etais deja quelque peu agacee de sa compagnie ( tout en sachant qu’il est preferable de me faire raccompagner plutot que de rentrer seule a l’hotel). J'ai l'impression d'etre assise a cote d'un mauvais acteur de Bollywood, qui debite des poemes a l'eau de rose, pendant que le rischshaw cahote sur la route inegale.

Enfin, je me retrouve dans ma chambre, apres avoir souhaite fermement une bonne nuit a Krishna, et, alors que je pousse un soupir de soulagement et m’apprete a regarder les photos que j’ai faites dans la journee, je decouvre avec horreur que mon appareil photo numerique n’est plus dans mon sac. Et me rappelle distinctement l’avoir oublie chez Ahmad, a l’endroit ou j’etais assise pendant le repas. Je me sens stupide (une fois de plus) et surtout, plus qu’inquiete, je m’en veux d’avoir ete si negligente. La soie m’a tourne la tete... Du coup je vais devoir retourner au magasin de soie des deux comperes, et me refaire accompagner chez Ahmad...

Des mon reveil, le lendemain, je me rends au magasin et trouve Sanjay au reveil. Il telephone a Ahmad, qui rappelle un peu plus tard en disant qu'il a trouve mon appareil. Mon soulagement est a la mesure de la frayeur que j'ai eue la veille. Nous retournons donc chez Ahmad, et en chemin j'achete un assortiment de patisseries a offrir a sa femme invisible. Au moins je ne me presenterai pas chez eux pour la troisieme fois en deux jours, les mains vides. Des que nous franchissons le seuil de sa porte, il me tend mon appareil photo. Le petit cadeau pour sa femme le prend un peu de court, et apparemment cela vaut une visite des toits de sa demeure. Le maitre des lieux nous precede dans les larges escaliers qui montent a la terrasse, au 8e niveau. Nous avons une vue sur les toits de Varanasi a 360 degres. Des rouleaux de soie posent des couleurs vives sur les terrasses. Ahmad a un pigeonnier, et il joue avec son fils. Nous attendons un petit moment, puis un the nous est servi.

IMGP5649Enfin, sa femme apparait,  cachant un sourire intimide derriere son voile. C'est une jolie jeune femme au teint clair et aux yeux noirs. Je la remercie pour le repas de la veille. Elle sourit mais ne dit rien, et se detourne rapidemment. J'imagine que ma visite matinale a sa demeure, un samedi,  ne correspond a aucune etiquette. Cette etrangere, avec des gateaux, sur sa terrasse, doit lui sembler totalement incongrue.

Je repars avec mon appareil, et me promets de faire desormais TRES attention a ne rien oublier derriere moi, quand bien meme je serais ensevelie sous une montagne de soie.

19 décembre 2006

Premier jour a Varanasi

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Varanasi est une des plus anciennes villes du monde. Elle a la forme d’un croissant de lune, allonge sur la rive ouest du Gange. En face, de l’autre cote du fleuve que ne rejoint aucun pont visible, des étendues sabloneuses se délitent dans la brume. Les ghats, ces volées de marches a plusieurs niveaux qui descendent vers le Gange et montent vers les temples, font face a une nature qui parait étonnament déserte. Immédiatement derrière les temples qui surplombent les ghats, un fouillis de ruelles etendent leurs ramifications en cercles excentriques jusqu’aux arteres de la ville moderne.

De la terrasse de Rahul’s Guest House, qui se trouve un peu avant Assi Ghat, je contemple la ville qui se laisse absorber par la brume, dans une supreme intemporalite. La lumiere qui baigne Benares a une qualite soyeuse... Laisser son regard se perdre dans les tons de perle de ce paysage mythique, fait perdre toute notion de temps et de lieu. Etre ici, c’est etre au balcon du ciel.

Pour rejoindre la vieille ville, je dois marcher une quinzaine de minutes, en traversant des quartiers recents et populaires, pleins de vie, d’enfants, de petites epiceries, de bouses de vaches, de chiens, d’egouts... Le premier jour, je commence par aller annuler mon billet de train pour Calcutta, car il me parait maintenant evident que trois jours a Varanasi ne seront pas suffisants. On ne peut pas faire le tour de cette ville au pas de course. Une cite vieille de plus de 3000 ans, ou la vie et la mort sont si etroitement melees, dont les ruelles degagent une atmosphere si dense, ne se laisse pas aprehender en quelques jours !

Pour annuler mon billet de train, je me rends a la gare en cycle rickshaw, ce qui me permet de traverser lentement la ville « moderne », dont les rues sont assez larges pour accueillir un flot de vehicules motorises. Les vieilles maisons aux arabesques de pierre en voie de desintegration qui se dressent le long des rues captivent mon regard. Tous les sens sont pris d’assaut, dans ces rues congestionnees par la circulation et les commerces en tous genres. Couleurs, odeurs, klaxons assourdissants, musiques. Tout semble atteindre un paroxysme qui suffoque, eblouit, et etourdit.

Arrivee a la gare, je traverse le hall dont une grande partie est occupee par des gens allonges par terre dans des couvertures. Je vais au guichet des reservations et annulations. Quand mon tour arrive, l’employe me dit d’un ton rogue, apres avoir jete un coup d’oeil a mon billet : «Bureau des touristes » en pointant du doigt un local de l’autre cote du hall. C’est une petite piece vitree, ou des touristes font la queue jusqu’a la porte. Une jeune Suedoise m’informe qu’elle attend depuis 45 minutes, et un autre touriste me dit qu’il a deja annule un billet au guichet dont je viens. Je retraverse le hall et apprends cette fois-ci que seuls les billets pour le jour meme sont annules a ce guichet. Face a cet argument implacable sinon indiscutable, je me resigne a aller attendre dans le bureau des etrangers.

Les sieges et fauteuils sont occupes par un echantillon des differents styles de touristes que l’on croise en Inde. Des Japonais, habilles sport et branches, avec d’enormes lunettes de soleil. Des jeunes femmes de nationalites diverses qui ont adopte le « total hindi look » : bracelets de chevilles, pantalons Ali Baba, tuniques de coton colorees, foulards, sandales en cuir, bracelets de metal clinquants. Les « hyppies chic », un peu moins jeunes, elles aussi vetues de vetements legers, aux couleurs eclatantes, mais dont l’allure generale temoigne d’un gout plus sur et d’un budget plus large que celui de leurs cadettes. Les vetements indiens permettent aux femmes une grande fantaisie, un assortiment de matieres, longueurs et couleurs extremement flatteur. Il y a aussi les voyageurs « relax », qui n’affichent aucun style particulier si ce n’est une recherche de confort et un desinteret ostensible pour leur garde robe. Et enfin, les routards, les purs et durs, ceux dont les habits portent toute la poussiere des chemins parcourus. Leurs pantalons amples et leurs tuniques ont certainement un jour ete neufs, mais ils ont pris des teintes delavees uniformement terreuses. Dread locks, chaussures elimees et sacs prets a rendre l’ame completent leur equipement.

Chacun occupe l’attente comme il peut. Certaines ecrivent dans leur journal. Deux Americains jouent aux cartes. Un Argentin essaye vainement de remplir le formulaire imprime en pattes de mouches sur du papier presque transparent, destine aux reservation et aux annulations. Un Francais a l’accent epouvantable tente de l’aider mais ne fait qu’embrouiller davantage l’Argentin qui ne maitrise pas tres bien anglais. Accroche au mur, un grand tableau peint a la main presente la liste des trains au depart de Varanasi. Seuls sont indiques les numeros et noms des trains, ainsi que le nom des gares (et non des villes) desservies, en abrege, ce qui en fait un outil fort pratique et utile pour les touristes. De temps en temps, l’employe assis a son bureau, tout au bout de la file, se leve et remet de l’ordre dans la salle « Ce n’est pas une salle d’attente ! La salle d’attente, c’est sur le qui numero 5 ! Vous vous asseyez pour attendre votre tour, la queue va dans ce sens, puis dans ce sens ! » aboite-t-il. Puis il se rassoit devant son ordinateur, relie a une imprimante qui eructe dans une catracte de cliquetis les billets de train longuement attendus. Le Francais s’appelle Michel et il a 58 ans (comme l’indique son formulaire). Il voyage en Asie sans interruption depuis 7 ans et se revele fort bavard. Il me conseille d’aller a Bodhgaya, ou il a passe une semaine parmi les boudhistes. Quand l’employe se leve et vocifere sur les touristes, Michel ronchonne « Ah, vraiment, quelle organisation ! Ca, ils le tiennent des anglais ! ». Sept ans de voyages ne l’ont pas debarrasse de sa propension a critiquer...Finalement, mon tour arrive et je me fais rembourser mon billet de train. IMGP5516

Je rentre a l’hotel, et de la terrasse, je regarde le soir tomber sur les ghats. Le soleil entame sa descente des 15h, c’est l’hiver et les jours sont courts.

16 décembre 2006

Haridwar-Varanasi en train

train_har_varLe voyage en train entre Haridwar et Varanasi (l'un des noms de Benares) a été un long mais bon voyage. Partis peu après 22h le mardi, nous sommes arrivés le lendemain vers 18h30. J'ai dormi comme un loir et même réussi à faire une grasse matinée jusqu'à 10h30! Je suis descendue de ma couchette, me suis changée dans les WC (qui venaient juste d'être nettoyés a grande eau) et me suis installée près d'une fenêtre sur un siège libre pour regarder le paysage défiler. Nous traversons les plaines, les montagnes et leur air cristallin sont désormais loin derrière. Rangées d'eucalyptus, parcelles de canne à sucre, de riz, champs de moutarde. Quelquefois un bougainvillée jette une tache rouge sur un fond de fleurs de moutarde jaune. Des vaches. Quelques paons, au milieu des herbes folles entre deux parcelles cultivées. Le ciel est voilé d'une brume de chaleur qui monte de la terre. Dans certaines gares où le train fait halte, les singes semblent avoir pris possession des lieux. Sur les quais, dans les arbres, sur les murs, déambulant au milieu des voyageurs... Des adultes et de nombreux petits, qui suivent maladroitement leur mere -ils font partie de la population.

Des vendeurs de chai et de café passent et repassent dans le wagon. Vers midi, mes compagnons de voyage commandent des repas, servis dans des plateaux d'inox divisés en compartiments : riz, yaourt, sauces, curries, lentilles (dahl). Des senteurs chaudes et epicées envahissent le wagon. J'ai mangé mon petit dejeuner peu avant et me contente de humer et observer les plateux repas. Apres avoir mangé, certains s'installent en position sieste, et une somnolence générale s'installe. Jusqu'en début d'après-midi, mes compagnons et moi observons une discrétion polie de part et d'autre. Ils ne me prêtent pas particulièrement attention et je passe mon temps à ecrire dans mon carnet ou à contempler le paysage et les gares que nous traversons, en écoutant mon lecteur mp3. Puis des lycéens font leur apparation, prenant le train pour de courts trajets jusqu'a leur lycée. Ils viennent s'asseoir a plusieurs sur le siège en face du mien, et m'assaillent d'un feu roulant de questions. Ils veulent tout savoir : de quel pays je viens, quel est mon métier, si je suis mariée, ce que fait mon mari, si j'ai des enfants... Ils me demandent de leur signer un autographe! Et de leur chanter une chanson en francais, mais heureusement le train entre en gare, ils descendent, et je suis sauvée! Il faut que je me rappelle d'une chanson française pour ce genre de requête... M'ayant vue bavarder et plaisanter avec les jeunes, mes voisins perdent d'un seul coup toute  retenue. Ils s'approchent tous en même temps et me bombardent à leur tour de questions. Une grappe de visages attentifs, curieux et souriants, m'entoure. Apres m'avoir posé les mêmes questions que les lycéens, ils me demandent si j'aime l'Inde, ce que j'en pense, quels endroits j'ai visité, combien d'ashrams j'ai visité, depuis combien de temps je suis mariée (plus exactement : how long have you enjoyed couple life?), quel est le prix d'un billet d'avion depuis la France, combien je gagne, quel est la monnaie en France? Hommes, femmes, jeunes et plus ages, ils sont tous aussi curieux. Je reponds de mon mieux. L'intensité de leur intérêt et le côté direct de leurs interrogations sont confondantes. L'échange est vif comme une partie de tennis. Et si leur anglais est parfois difficile à comprendre, ils possèdent un vocabulaire précis et étendu. Après un moment, quand nous avons tous été à bout de salive et de curiosité, ils se sont dispersés. Mais je les ai entendus commenter la conversation et j'ai compris, de leur anglais émaillé d'hindi, qu'il était rare pour eux d'avoir ce genre d'échange avec des étrangers qui répondent vraiment à leurs questions, ne soient pas effrayés, ne se contentent pas de faire "mm mm" sans comprendre. Ils m'ont evidemment tres vivement recommandé de venir accompagnée de mon mari la prochaine fois que je viendrai en Inde, et m'ont aussi dit que j'étais une courageuse voyageuse. En fait, ils sont tres intrusifs, mais un peu comme des parents  qui chercheraient a me connaitre et s'inquieteraient de mon bien-etre et de ma securite. La simplicite et la spontaneite suffisent pour etre traite avec bienveillance et respect.

La voyageuse qui occupe la banquette en vis à vis de mon siege, est une opulente hindoue au front marqué d'un beau rond rouge. Son visage un peu affaissé, au teint pâle et à l'air grave, laisse imaginer qu'elle a été belle autrefois. Elle semble avoir une quarantaine d'annees bien entamée. Son téléphone sonne sans arrêt. Quand elle ne dort pas, allongee de tout son long sur la banquette, elle passe son temps a recevoir et envoyer appels et sms. Les rideaux a demi tires de sa fenetre decoupent des pans de paysage jaune d'or, poudreux, d'arbres moutonnant dans une brume de chaleur et de poussiere sur les vitres. La dame est courtiere en bourse. Originaire de Varanasi, elle a un fils unique de 24 ans, qu'elle marie en janvier, me dit-elle. Elle s'inquiete de savoir si j'ai réservé une chambre d'hotle, si quelqu'un vient me chercher a la gare, si je connais du monde a Varanasi... Elle me dit qu'en Inde les couples ne veulent plus qu'un ou deux enfants, pour pouvoir leur offrir une bonne éducation. Les musulmans sont les seuls a ne pas suivre cette ligne de conduite. "C'est récent, ce changement dans les mentalités. Maintenant, les gens se préoccupent beaucoup de l'éducation de leurs enfants. Et cela coute de plus en plus cher. Les Indiens sont un peuple laborieux. Ils veulent travailler pour gagner beaucoup d'argent, et en dépenser beaucoup."

La nuit est tombée petit a petit, et la perspective d'affronter seule les chauffeurs de rickshaws pour aller dans la vieille ville, de nuit, ne me séduit pas vraiment. Je demande à ma voisine si par hasard elle aurait la gentillesse de m'aider à appeler un hotel pour réserver une chambre et demander qu'ils envoient quelqu'un me chercher. Elle accepte, sans se départir de son air grave. Apres 3 coups de fil infructueux, elle me propose de me déposer à un hotel sur sa route. J'accepte, évidemment, avec gratitude. Le train arrive en gare de Varanasi. Elle se fait aider à descendre ses bagages, charge un porteur de ses deux valises et saisit son telephone pour appeler son fils qui apparait rapidemment. "Venez" m'intime la dame. Je la suis, elle, son porteur, ses bagages et son fils jusqu'à sa camionnette. C'est un vehicule petit et étroit, ce qui lui permet de se faufiler dans la circulation compacte où nous nous lançons. Je me suis excusée, en m'asseyant, de les déranger, mais il a répondu que c'était un plaisir de rendre ce service. Il a prétendu qu'il pouvait me déposer à Assi Ghat, le début de la vieille ville, car c'était sur sa route. En fait, il a déposé sa mere et a poursuivi, en se rallongeant d'autant plus que l'embouteillage inextricable ou nous étions l'a obligé à faire un grand détour. Cela nous a permis de bavarder, au milieu de ce flot de rickshaws, velos, motos, voitures, camionnettes, dans le vacarme des klaxons. Samir est courtier en bourse, et travaille avec sa mere. Son telephone aussi sonne continuellement (un certain nombre de fois a cause de sa mere qui s'inquiete, je pense). Il me dit qu' il adore les telephones mobiles, comme la plupart des jeunes citadins, qui en changent volontiers tous les mois. En regardant mon modeste sac a dos il s'etonne de son volume reduit et declare que le moindre de ses deplacements en week end implique un enorme sac plein de vetements. Il aime la mode, et s'enquiert des marques de jeans populaires en France. Il est adepte des jeans Wranglers. "Les Indiens gagnent de plus en plus d'argent, m'explique-t-il. Les salaires augmentent en meme temps que le pouvoir d'achat. La nouvelle generation est completement differente de l'ancienne, qui economisait : elle veut gagner pour depenser. Si quelqu'un gagne 10 dollars, il veut en depenser 11." Il est energique, dynamique, comme les autres jeunes Indiens avec lesquels j'ai eu l'occasion de bavarder jusqu'ici.              "La circulation est peut-etre bloquee a cause d'un VIP qui vient en ville, declare-t-il apres une bonne demi-heure d'embouteillage. Ou d'un politicien. Nos politiciens sont tous corrompus. Et quand on voit la progression rapide de l'Inde, on peut se dire que si ces politiciens etaient differents, l'Inde serait parmi les pays les plus developpes. Notre pays progresse sans cesse." Je lui demande ce qu'il pense de son futur mariage, arrange. Il repond que c'est comme ca. Que certains s'en accomodent. Les parents ne s'opposent pas forcement a un mariage d'amour (love mariage). Samir a eu plusieurs petites amies, il aurait bien voulu en epouser une, mais elle ne voulait ou pouvait pas faire un "love mariage". Il s'est donc apparemment resigne au mariage arrange par sa mere. Quand je lui demande ce qu'il pense de la culture occidentale,  il repond, comme d'autres Indiens me l'ont deja dit, qu'il n'aime pas la propension des occidentaux a laisser leurs parents mourir dans des maisons de retraite. Les Indiens respectent profondement leurs parents, et tout specialement leur mere, qui est sacree. "Ma mere est une deesse" m'a dit Hari avec un grand serieux. De fait, pour les hindous, Dieu est en tout, et tout est Dieu...

Finalement, il me depose dans une rue ou se trouvent plusieurs hotel. Mon premier soir a Varanasi, dans une chambre au confort spartiate et a la proprete limite (mais pour 150 roupies, on ne peut pas etre trop exigeant)... Je me suis fait monter dans ma chambre un sandwich au fromage, un lassi et une bouteille d'eau minerale. Par la fenetre entrebaillee, me parviennent un concert ou se melent de la musique de fete, des klaxons, des petards.

12 décembre 2006

Dernier jour a Rishikesh

C'est mon dernier jour a Rishikesh. Un grand soleil réchauffe un peu l'atmosphere assez fraiche qui règne sur cette région montagneuse. Les montagnes qui entourent Rishikesh ne sont que les premières marches de l'Himalaya, mais après celles-ci, lorsqu'on se dirige vers le nord, il n'y a plus de plaines. Plus que des sommets escarpés et enneigés. Il suffit de gravir quelques centaines de mètres supplementaires pour voir les montagnes tibétaines et népalaises...

Une semaine a Rishikesh. Difficile de trouver un point de depart pour decrire ce laps de temps si court et si plein de moments différents. Difficile de décrire, d'ailleurs, car la decouverte passe par tellement de sensations et d'impressions fugitives, que les restituer est une tache complexe. J'ai rencontré une foule d'Israeliens... Lilach, la "mama", voyageuse au long cours qui est déjà venue en Inde il y a 14 ans (croyez-le ou non, elle a toujours le plaid en laine qu'elle a acheté a l'époque!) et arrive tout juste de 6 mois en Chine. Longs cheveux blonds, tunique turquoise, bracelets aux chevilles, et toujours quelques objets "mystiques" a portée de main, des pierres chargées d'énergie, un petit livre de prières en Hebreu... Elle est thérapeute en Israel (je n'ai pas vraiment réussi à comprendre quelle était exactement sa pratique) Assaf, un programmateur informatique qui se balade avec des flutes dont il tire quelques melodies dès que l'occqsion se presente. Il a le bout des doigts complètement abimé car il a passé la nuit dehors il y a 2 semaines, en pleine montagne, apres s'être perdu. Il a cru mourir mais a simplement eu très peur et brûlé la peau de ses doigts. Mais quelle anecdote à raconter! A croire qu'il en retire encore plus de plaisir (rétrospectif) que du vipassana, une technique de méditation boudhiste qu'il a récemment découverte et partage avec enthousiasme. Il y a un couple en voyage de noces qui a acheté une moto à Darjeeling et voyage au gré de ses envies. De nombreux "signes" les ont menés ici, où ils font du yoga, du reiki... Voila quelques personnages de la petite scène très New-Age qui gravite sur la High Bank, la rive où se trouve mon hotel. Tous sont très enthousiastes et enclins à partager leur experience.

J'ai aussi rencontre Hari Hara, un jeune Indien originaire du Tamil Nadou, dans le sud, qui voyage depuis 4 mois dans son pays. Il m'a donné mes premières leçons d'hindouisme, m'expliquant les liens entre les différents dieux, les symboles... La religion hindoue compte 33 millions de dieux... Ca laisse reveur. En bavardant avec Hari, comme avec Vijay, le serveur du restaurant de l'hotel, je découvre l'etendue impressionnante de leur culture. Hari lisait "Les freres Karamazov" de Dostoievski quand nous avons partagé une table au restaurant, et connait Sartre, Camus, les peintres impressionistes, les regions viticoles francaises, sans parler de toute sa propre culture, celle du Tamil Nadu, aux temples ornés de sculptures extraordinairement raffinées... Il a passé 7 ans à Los Angeles où il étudiait l'informatique. Depuis son retour en Inde, il a lancé un business de stock exchange de produits agricoles sur le net. Puis il a decidé de faire le tour de son pays. Appartenant à la caste des Kshatryas, les guerriers et gouverneurs de l'Inde, il est issu d'une famille riche et puissante du Tamil Nadu, à Chennai, l'ancienne Madras.

Vijay, quant a lui, est fiancé à une quebécoise et compte la rejoindre à Montreal quand il aura obtenu son diplome de masseur ayrvedique pour ouvrir un salon de massage. Originaire de Bombay, il peut se répandre en éloges sur le climat et la cuisine de sa ville natale, sur les délices des fruits de mer, preparés d'autant de facons qu'il y a de regions en Inde. Il a passe 6 ans à travailler dans diverses régions indiennes, au gré des opportunités. Il a un côté play-boy, toujours une plaisanterie, un sourire, un bon mot destiné a ses clients. Il anime sa salle avec beaucoup d'esprit et de bonne humeur et n'est pas à court non plus de petits conseils philosophiques. Comme "Regarde en toi et demande toi ce que tu veux vraiment. Ne le dis pas aux autres, dis-le toi. Prends le temps de trouver ta propre réponse", à un israelien familier des lieux. Ou encore, à des touristes francais rentrés bredouilles d'une excursion "Si vous n'avez pas pu entrer, c'est que c'était ecrit. Sinon, vous seriez entrés. On obtient toujours ce qui nous est destiné." Certains soirs, apres la fermeture des cuisines, d'où sortent des dizaines de plats différents, tous délicieux , Vijay s'assoit a votre table et entame des conversations animées. J'ai assisté à des discussions sur l'histoire, la politique, la justice, entre Hari et lui, réellement passionnantes. En guise de conclusion à un échange sur la spiritualité, Vijay peut vous apprendre comment percevoir la quatrième dimension : très simplement. Vous placez deux miroirs face à face, et en vous tenant entre les deux, vous vous verrez demultiplié à l'infini, accédant ainsi à la perception de votre présence ici et ailleurs simultanément, ce qui caractérise la quatrième dimension...

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